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BoDoï, explorateur de bandes dessinées – Infos BD, comics, mangas | April 18, 2024















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Daisuke Ichiba : l’expo bruxelloise

29 mars 2018 |

Ichiba_08Artiste plasticien et auteur de manga expérimental (cf. Ezumi, paru en 2006 au Lézard noir), Daisuke Ichiba est à l’honneur à la galerie alternative E²/Sterput (Bruxelles) jusqu’au 21 avril 2018, à la suite d’une exposition à ArsenicGalerie (Paris) pour laquelle a été éditée la luxueuse monographie trilingue L’Art d’équilibrer les dissonances*. Né en 1963, Ichiba façonne un désordre coquet en noir et rouge, où rêve et cauchemar se contaminent mutuellement, à la fois héritier des expérimentations de Garo et de la délicatesse des estampes japonaises. En accompagnement de notre parcours photo, nous avons rencontré l’organisatrice Émilie Ouvrard et l’éditeur/sérigraphe Pakito Bolino, proche collaborateur d’Ichiba et commissaire des expos jumelles « Heta-uma » / « Mangaro » (à Sète et à Marseille, en 2014-2015), dont quelques pièces sont également visibles en ce moment à la galerie E²/Sterput – y figure notamment le travail de Jirô Ishikawa. Petit décryptage, avant de laisser parler les images.

Comment est née l’initiative de cette exposition ?

Emilie Ouvrard : En fait, j’organise les expos, je prépare un programme annuel et j’avais envie de diversifier la « géographie » de ce qu’on propose – dans le sens où on expose souvent des Français et des Belges, donc je voulais aller voir un peu plus loin. Avec Pakito, on avait parlé d’artistes japonais et j’avais bien envie d’en faire venir un. Parce que je suis beaucoup ce que fait Pakito et qu’il avait organisé l’expo « Heta-uma » à Sète, qui était magnifique.

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Ambiance « schoolgirl trauma » au vernissage.

Comment présenteriez-vous le travail de Daisuke Ichiba ?

Pakito Bolino : Comme l’âme du Japon. Comme l’héritier de la vraie imagerie japonaise.

E.O. : Moi je suis très terre-à-terre : c’est des beaux dessins ! (Rires) Je ne sais pas pourquoi mais j’ai longtemps cru qu’Ichiba était une fille. C’est intéressant, d’ailleurs – et le livre d’Arsenic en parle –, la plupart des Français pensent que c’est une femme. Parce qu’il a un trait super fin et qu’il dessine tout le temps des femmes, dont son personnage récurrent qui porte un bandeau sur l’oeil. J’avais l’impression que c’était un univers assez féminin. Après, oui, c’est très japonais et assez brut quand même.

C’est effectivement très japonais. Dès la couverture de L’Art d’équilibrer les dissonances, on trouve tout un tas de codes japonais, comme le cache-oeil blanc, l’uniforme « sailor fuku » ou la position seiza. Comment le public occidental reçoit-il ce type d’imagerie très référencée, sans forcément connaître les codes ?

P.B. : Ils s’excitent, c’est tout. Ils s’excitent sur les images parce qu’il y a des uniformes d’écolières, il ne faut pas chercher plus loin.

E.O. : Oui mais ils connaissent. Je veux dire… les écolières en uniforme, quand on regarde un film japonais il y en a tout le temps. Il y a aussi le hara-kiri – enfin, ce qu’on dit être le hara-kiri – parce que les personnages d’Ichiba ont souvent des couteaux. Ça aussi, c’est un truc qu’on connait du Japon.

P.B. : Pendant des années, Ichiba a tenu une boutique de fringues (dans le quartier de Kôenji à Tokyo, bastion du rétro – NDLR). C’était son boulot, il vendait des trucs d’occase, dont des costumes d’écolière. Il en avait toute une collection.

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L’œuvre préférée d’Emilie, présente dans le livre X* réalisé pour accompagner l’exposition. Imprimé en riso, il ne reproduit pas forcément les originaux affichés dans la galerie, car celle-ci contient en partie de toutes nouvelles œuvres. « Ichiba n’avait plus beaucoup de dessins en stock et en a donc réalisé exprès pour l’expo. »

Ce serait donc la raison de leur présence dans ses dessins ?

P.B. : Ben oui, parce qu’il aime cette esthétique. C’est comme Keiti Ota : ils aiment une vieille image du Japon et on la retrouve dans leurs dessins.

E.O. : On retrouve aussi le drapeau du Japon, dans pas mal de dessins.

P.B. : Le drapeau du Japon nationaliste ! Celui de la guerre, avec les rayures.

E.O. : Oui avec les rayures, c’est vrai !

P.B. : Tout ça, c’est des trucs qu’il avait dans sa boutique, qui lui servait aussi d’atelier. Il vendait des fringues et des mangas d’occase, tout ça.

Il ne faut donc évidemment pas y voir du nationalisme mais un travail qui relèverait du collage d’influences.

P.B. : Ah non, c’est juste une esthétique liée au Japon. Puis, Ichiba, c’est quelqu’un qui vient d’un milieu modeste. Au Japon, il y a quand même des « castes sociales » assez marquées et lui, c’est quelqu’un qui a toujours été considéré comme une merde parce qu’il venait d’une caste sociale « de merde ». C’est quelqu’un qui, pendant des années, s’est toujours auto-publié. Un petit peu comme on le fait en Europe, mais au Japon, c’est rare les dessinateurs et artistes qui se publient eux-mêmes. Lui a toujours réalisé ses livres par lui-même, envoyé ses productions à l’étranger, réalisé des pochettes de disque… Il était actif, plus comme un Européen que comme un Japonais. Je pense que c’est aussi lié à sa classe sociale : il a bien fallu qu’il se démerde. Ce qui est marrant, c’est que maintenant le phénomène s’inverse : comme il devient reconnu en Europe (et ailleurs à l’étranger), maintenant des éditeurs japonais commencent à sortir son travail. Alors qu’avant, ils n’en avaient rien à cirer de lui.

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Marcher sur des œufs. Vivants. (extrait d’Ezumi – Le Lézard noir, 2006)

Le do it yourself est une démarche qu’il a adoptée volontairement et dès le départ, non ? Sans jamais être allé voir d’éditeurs.

P.B. : Oui, parce qu’il savait bien qu’ils n’auraient pas voulu de lui. Il connaissait Garo et tous ces gens-là. Mais eux ne voulaient pas de lui. Maintenant, si !

C’est intéressant, parce qu’on aurait pu croire qu’une revue underground comme Garo aurait accueilli Ichiba à bras ouverts.

E.O. : Ah mais il y a plein de niveaux, dans l’underground. Et puis l’underground, c’est plein de groupes.

P.B. : Garo, c’était il y a longtemps. Le Garo dont on parle, c’était celui des années 80. Et après c’était fini. Ça a servi des gens comme Suehiro Maruo, King Terry ou Takashi Nemoto, mais Ichiba est arrivé juste après.

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Au sous-sol, une batterie de sérigraphies issues de l’expo « Mangaro ».

Du coup, l’exposition est partagée en deux : Ichiba au rez-de-chaussée et, au sous-sol, une sélection d’artistes issus de Garo et de la mouvance « heta-uma » (le « mal fait – bien fait », mouvance qui fut elle-même propagée par Garo). Comment cette seconde moitié s’insère-t-elle dans l’expo ?

E.O. : Ça se marie bien parce qu’il y a des sérigraphies de Daisuke Ichiba dans le lot.

P.B. : Ce sont des sérigraphies qu’on a réalisées à l’époque, pour l’expo « Mangaro » à Marseille. Un collectionneur nous avait prêté tous les Garo de la meilleure période et j’ai pris des images de l’époque, que j’ai re-sérigraphiées. Mais dans l’expo, il y avait aussi la jeune génération, comme Ichiba ou les gens de Mograg. Ainsi que Keiti Ota, Takashi Nemoto, Imiri Sakabashira – qui est pour moi l’un des meilleurs dessinateurs de BD japonais… Et d’autres, il y en a trop. Tous des gens qui ont été influencés par Garo et qui n’ont pas forcément été publiés dedans. Et à mon avis, c’est le même esprit. L’esprit underground qui existe dans le monde entier dans ce type d’édition, héritier de l’underground américain. En France à l’époque il y avait Hara-Kiri, Métal Hurlant… Ça correspondait à une période, c’était un mouvement qui existait dans le monde entier.
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* En vente à la galerie E²/Sterput :

X (2018).
E²/Sterput, 32 p., impression riso deux couleurs, 15€.

Daisuke Ichiba – L’Art d’équilibrer les dissonances (2017).
Par Xavier-Gilles Néret.
ArsenicGalerie, 288 p., 69€.

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Photos © BoDoï.

 

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