En apparence, Alix Garin avait tout pour être heureuse. Son diplôme en poche, elle a rapidement emménagé avec son compagnon, trouvé un travail dans une agence de communication et immédiatement rencontré le succès public et critique avec son premier livre. Seulement, la vie réserve parfois des surprises dont on se serait bien passées. Lors d’une relation sexuelle, Alix ressent une douleur intense, insupportable. Dès lors, la souffrance s’installe, devient une habitude sourde et crainte. À chaque rapport, elle prend sur elle, le cache à son amoureux, subit l’angoisse de la moindre approche charnelle, se victimise et fait tout pour reculer l’échéance. Sauf qu’un jour c’en est trop, elle craque et se dit qu’elle doit faire quelque chose pour retrouver sa vie intime d’avant…

Si le point de départ de cet album est le sexuel et le vaginisme, il ne s’en limite pas, et se révèle même être un témoignage d’une richesse thématique foisonnante. L’autrice y décrit précisément son processus de pensée et d’évolution, tout au long de sa longue quête de « normalité ». Et des normes, il en est beaucoup question durant les 300 pages de son parcours médical, psychologique, sociétal et conjugal au cours duquel elle se confronte aux règles plus ou moins tacites de notre monde patriarcal.

Alix Garin était parvenue à nous surprendre grâce à son tout premier album, Ne m’oublie pas, dans lequel elle appliquait délicatement la lumière sur lien entre une jeune femme et sa mamie atteinte d’Alzheimer. Se dévoilant déjà partiellement dans cet ouvrage d’inspiration familiale, elle fait un grand pas dans l’exercice autobiographique avec Impénétrable. De ces pas qui changent une vie, notamment parce qu’aborder le tabou ultime qu’est le sexe est loin d’être évident et que les répercussions potentielles ne le sont pas non plus. Divulguant sa relation de couple, ses doutes, ses interrogations, ses mensonges ou ses fantasmes, elle se met littéralement à nu pour plonger au plus profond d’elle-même et déposer devant nous tout ce que l’on prend si souvent beaucoup de mal à cacher.

Son témoignage est osé, bouleversant, savamment dosé, prodigieusement bien écrit. Tout en retenue, en sincérité, puis aussi en souffrance et en émotions en tous genres. Alix Garin se rend petit à petit compte que le vaginisme n’est qu’une partie de son propre mal. Le temps d’un long cheminement, elle parvient alors à pointer les blocages et traumatismes qui l’ont menée là où elle en est… puis à entamer sa réappropriation de son corps et de son être.

Si ce livre réussit si bien à retranscrire l’intériorité et le parcours de son autrice, c’est évidemment grâce à sa narration. Très fluide, elle est accompagnée d’un découpage qui sait poser le rythme et l’intensité adaptés à chaque scène. Le dessin également n’est pas étranger au charme si prégnant de cet ouvrage. Souple, très expressive, sensible, la ligne virtuose de l’autrice brille aussi bien dans une danse nocturne que lors d’un passage calme de thérapie. Se parant de couleurs pastel ou plus sombres et denses en fonction des situations, le graphisme finit d’asseoir la juste authenticité du propos.

Impénétrable est de ces livres qui se lisent et s’apprécient en les ressentant jusque dans la chair. Une BD qui bouscule, dont on ne ressort pas indemne et qui saura questionner tout un chacun. Signant un des plus grands et bouleversants albums de l’année, et même un écrit qui a tout pour prétendre au panthéon des œuvres de l’intime, Alix Garin confirme qu’elle fait bel et bien partie de cette nouvelle vague de jeunes autrices déjà incontournables de la scène BD.