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Jacques Ferrandez interprète « L’Étranger » d’Albert Camus

2 mai 2013 |

ferrandez_etranger_introIl n’en finit plus de creuser l’Algérie, où il est né. Jacques Ferrandez, auteur des Carnets d’Orient, adapte à nouveau Albert Camus : après L’Hôte, c’est L’Étranger. Un roman paru en 1942, dont le principal protagoniste, Meursault, s’avère être un anti-héros cryptique. Un homme indéchiffrable, qui enterre sa mère sans émotion apparente, et tue un homme quelques jours plus tard. Sa ligne de défense, lors de son procès ? “C’est à cause du soleil.” En pleine année Camus (on fête le centenaire de sa naissance), Jacques Ferrandez détaille la façon dont il a fouillé son oeuvre.

Etranger_Int.inddAprès L’Hôte, était-ce une évidence d’adapter L’Étranger ?
J’hésitais entre deux romans : L’Étranger, ou Le Premier Homme, que Camus laissa inachevé. Mais sa fille, Catherine, m’a indiqué qu’une adaptation cinématographique était en cours. J’ai alors opté pour L’Étranger. Tout en me sentant attendu au tournant : tout le monde l’a lu ! Et si je me crashais en plein vol ? Et puis j’ai appris que José Muñoz préparait une adaptation de ce livre pour Futuropolis… L’autorisation nous avait été donnée à tous les deux, et Antoine Gallimard avait validé les deux projets ! De mon côté, j’étais très embêté. Je craignais les réactions des journalistes, qui allaient trouver cela redondant… J’en ai discuté avec Muñoz au festival de BD d’Alger en 2011. Et je l’ai ensuite entraîné dans le quartier Belcourt pour qu’il prenne des photos de la maison de Camus ! J’ai été soulagé quand son album est sorti : son Meursault était très différent du mien. José s’est inspiré de Camus quadragénaire et de Robert Mitchum, alors que j’ai fait du mien une incarnation de la jeunesse.

Quel lien avez-vous avec ce roman ?
Comme c’est le cas pour beaucoup de gens, il est entré dans ma vie en classe de première. Camus était pour moi un nom familier : sa famille était voisine de la mienne à Alger, ma grand-mère côtoyait les Camus au marché… Albert Camus est présent dans les Carnets d’Orient, je le cite. Nous partageons un déchirement par rapport à l’Algérie.

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Qu’aviez-vous ressenti en lisant L’Étranger pour la première fois ?
Je ne l’avais pas compris. Meursault semble indifférent à tout, ne s’affirme pas, c’est un grand amorphe. En le relisant, je l’ai vu d’une autre façon : L’Étranger est un roman de la jeunesse, puisque son héros refuse de mentir, ne joue pas le jeu de la société, se fout de la mort. Son attitude est presque celle d’un adolescent. Sur lui, la vie n’a pas de prise. Pour le dessiner, je me suis référé à James Dean ou Gérard Philipe jeune.

Etranger_Int.inddComment avez-vous procédé pour adapter cette oeuvre?
Je l’avais relue en travaillant sur Carnets d’Orient : je me souvenais d’une écriture blanche qui tient son lecteur à distance, qui rend l’empathie pour Meursault difficile. J’ai donc lu à nouveau L’Étranger, en cherchant les scènes-clés. Il y a notamment celle du meurtre, qui pose le plus de problèmes à l’adaptateur. Meursault assassine un Arabe, toutefois l’épisode n’a pas de connotation politique. La victime, je l’ai d’abord dessinée sous les traits d’un homme moustachu, sombre, hostile, mais cela ne fonctionnait pas. J’ai pensé à Pasolini, et j’en ai finalement fait un beau mec, presque un double de Meursault. Une sorte de rapport trouble amour-haine… Je me suis aussi questionné sur le type de narration à adopter : fallait-il garder le monologue à la première personne, qui fonctionne difficilement en BD ? J’ai gardé l’introduction par le narrateur, avant de glisser vers des dialogues.

Après avoir creusé ce récit, quelle interprétation faites-vous de la conduite de Meursault ?
Je ne sais pas… Quand j’ai demandé à Catherine Camus une préface pour l’album, elle a décliné en arguant qu’après tout ce temps, elle n’avait toujours pas fait le tour de L’Etranger… Je ne fournis pas de mode d’emploi. La seule explication donnée, c’est le soleil, la chaleur. De mon côté, je lance quelques pistes, mais sans donner de réponses.

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Etranger_Int.inddQuelles difficultés avez-vous rencontrées dans la mise en images ?
J’ai laissé peu de place au doute. J’ai travaillé à plein temps, sans interruption, dans un élan spontané. Il me fallait faire abstraction de l’enjeu que représentait cette adaptation, et des éventuelles critiques qu’elle allait susciter. Au niveau graphique, j’ai fait ce que j’ai pu, comme d’habitude. J’admire énormément les artistes qui évoluent d’album en album, qui osent expérimenter. Pour ma précédente BD, Alger la noire, j’avais tenté de modifier mon style pour induire un ton différent de celui des Carnets d’Orient. Mais sans réelle différence, même si j’ai assombri les couleurs, le résultat change finalement peu. Là, j’ai au contraire assumé mes particularités : de grands paysages, l’utilisation de doubles pages, des aquarelles lumineuses…

Quels sont vos projets ?
Je suis actuellement le chef Yves Camdeborde auprès de ses fournisseurs pour raconter la façon dont il travaille sur quatre saisons, dans le respect des aliments. L’album paraîtra dans la collection Rue de Sèvres de L’École des loisirs, où travaille désormais mon ancienne éditrice de chez Casterman, Nadia Gibert. J’aimerais l’accompagner d’une vidéo qui comportera des éléments dessinés. Je prépare aussi — cette fois pour Casterman — la suite des Carnets d’Orient. J’avais laissé la porte ouverte à une suite, et j’ai aujourd’hui envie d’aborder la période de l’après 1962.

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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L’Étranger
Par Jacques Ferrandez.
Gallimard, 22€, le 12 avril 2013.

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Images © Gallimard BD.

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