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L’hommage de Sergio Salma aux mineurs de Marcinelle

17 décembre 2012 |

salma_marcinelle_introSergio Salma abandonne ses séries jeunesse le temps d’une histoire sur les mineurs. Le 8 août 1956 à Marcinelle, en Belgique, un wagonnet de charbon provoque un incendie dans le charbonnage Le Bois du Cazier. Le bilan est terrible : 262 hommes y perdent la vie. L’auteur belge quinquagénaire se sert de cet événement pour raconter le quotidien de Pietro Bellofiore, un émigré italien, et la vie de cette communauté de travail. Marcinelle 1956 porte ainsi un regard réaliste et sincère sur ces hommes, soutenu par un trait d’une grande sobriété. Interview.

salma_marcinelle_mineVous êtes connu surtout pour vos séries jeunesse ou humoristique (Nathalie, Animal Lecteur avec Libon…). Pourquoi ce changement de registre ?
J’avais déjà dessiné dans ce style avant Nathalie dans le magazine (À suivre) chez Casterman, en 1983 et en 1984. Un cinéaste peut passer d’une comédie  à un drame. Yves Robert a fait Un Éléphant ça trompe énormément et Le Mauvais Fils. Wilder a fait Certains l’aiment chaud et Le Poison. Nous avons tous plusieurs préoccupations, des sujets de passion et des envies. Je revendique ces facettes, j’aime bien passer d’un projet à l’autre.

Marcinelle 1956 s’inspire de faits réels. Pourquoi s’être intéressé à cette tragédie ?
Parce que je visitais depuis 30 ans les sites industriels en ruines, les usines démolies, j’habitais dans une région jadis très riche. Ça me touchait. Puis j’ai visité celui de Marcinelle, à l’abandon, avec des détritus, de la végétation… J’ai été ému en pensant qu’il y avait eu là un accident et que tout avait été oublié. J’avais envie depuis toujours de mettre en scène ce qui me touchait en tant qu’enfant, puis adolescent. L’accident s’est imposé comme décor et événement emblématique. Dès qu’on lit un peu sur le sujet, impossible de ne pas faire cette histoire. Ce qui est curieux, c’est que peu d’auteurs, écrivains ou cinéastes aient parlé de la mine, de la vie et des difficultés qui l’entourent. La France et la Belgique notamment étaient des pays d’industries lourdes. Qui ont fait la richesse de nos nations. Émile Zola a été le seul, ou presque, à traiter le sujet à travers Germinal… Mais, ce livre n’a pas été une source d’inspiration dans la mesure où je parle d’autre chose que de la misère totale. Je n’ai été inspiré que par la réalité.

Cette tragédie sert de fil conducteur pour décrire le quotidien des mineurs italiens qui ont émigré pour fuir la pauvreté de leur pays. Vous décrivez minutieusement leur travail, leur quotidien difficile et leur vie familiale. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à leur condition ?
Un auteur s’intéresse aux choses parce qu’elles le touchent. Mais, je me serais intéressé au sujet même si je n’étais pas auteur. En 1948, mon père, italien, est venu en Belgique pour travailler en tant que manœuvre dans la sidérurgie. Beaucoup des amis de mes parents étaient mineurs. Ma mère m’a dit qu’elle se souvenait avoir été devant les grilles du charbonnage vers le 15 août 1956, au moment de la catastrophe, quand on pensait encore qu’on allait remonter des survivants…

salma_marcinelle_habitQuelle est la part de réel et celle de fiction ?
La catastrophe elle-même est le seul élément vrai. Le reste est un mélange de réflexions. Je me suis demandé pourquoi mes parents avaient fait 2000 km pour venir faire ce métier. Comment, pourquoi, dans quelles conditions. Et j’ai écrit mon sentiment. Mon père n’a jamais vécu cela, il n’a jamais eu de Vespa… La femme que le personnage rencontre n’a jamais existé. Mais la vie de famille et la camaraderie sont une constante dans le milieu ouvrier : ce qui s’y disait était commun à toutes les nationalités.

Pourquoi avoir choisi comme personnage principal un homme contraire au stéréotype de l’ « émigré économique » ? Il ne regrette pas son pays ni sa culture, contrairement à ses compatriotes et il a adopté la Belgique
On ne choisit pas un héros. D’ailleurs ce n’est pas une histoire de héros. Je me suis inspiré de mon propre père et de ma vision des choses.

Les collègues de Pietro rêvent de retourner dans leur région natale et s’accrochent à cet espoir pour supporter ce quotidien. Que représente la jeune femme qui va croiser la route de Pietro ? Une échappatoire ?
Non, cette femme se met sur sa route et il est troublé. Il ne décide rien, il est perdu. Tout lui semble brouillé. Il voit simplement un élément qui lui fait ressentir des sentiments oubliés, il est émerveillé et il ne sait pas ce qui se passe. Mais, il ne veut pas sortir du quotidien pour autant, il continue à vouloir rester en Belgique.

salma_marcinelle_descenteBeaucoup de planches sont quasiment muettes. Pourquoi cette économie de mots, ce trait plutôt épuré et l’absence de couleurs ?
Quels mots aurais-je mis ? La bande dessinée a cette immense qualité. Profitons-en ! Cela permettait justement d’appuyer la routine et la mécanique des jours. Le trait s’est lui aussi imposé tout seul. On ne choisit pas un style comme on choisirait un logiciel dans notre cerveau.

Aviez-vous comme objectif d’honorer la mémoire de ces mineurs et de rappeler cet événement qui a marqué la ville, voire la région ?
Même si ça n’a pas été mon point de  départ, l’hommage est présent. Je raconte une histoire qui, dans le fond, a un cadre historique et géographique. On peut retrouver une noblesse, la misère, la tristesse, le malheur, le courage selon son propre point de vue et son vécu. Cette histoire d’accident aurait pu se passer partout. Je l’ai mise en scène parce que c’est le milieu que je connais. Par la suite, on a organisé une rencontre dans le charbonnage lui-même. Après de longues tractations, on l’a sauvé de la destruction, il a été réaménagé et c’est aujourd’hui un mémorial. Il vient d’ailleurs d’être classé avec d’autres sites en Belgique et en France au patrimoine mondial de l’Unesco. Quand le livre est sorti, Casterman et le directeur du Bois du Cazier (le nom du charbonnage) ont organisé une conférence de presse et une séance de dédicaces. Dans l’assemblée, peu d’amateurs de BD purs, surtout des gens intéressés par le sujet. Il y a dans le cœur du récit une humeur faite de compassion.

salma_marcinelle_couvAvez-vous des projets en cours ?
Je travaille sur un scénario, peut-être pour un autre format, peut-être en couleurs, qui parlera d’un Italien et son parcours. Mais celui-là sera un nostalgique de son pays. Et le récit courra sur plusieurs dizaines d’années. Je continue Animal Lecteur avec Libon dans Spirou et je dessine pour le même journal des histoires ayant aussi pour cadre une Belgique des années 60, en partie autobiographiques. Les temps sont durs en bande dessinée. J’ai la chance d’avoir avec moi deux maisons d’édition qui veulent continuer à développer des idées sur le moyen terme. Je m’y accroche donc avec enthousiasme.

Propos recueillis (par email) par Hadrien Chidiac

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Marcinelle 1956.
Par Sergio Salma.
Casterman/Écritures, 17 €, août 2012.

Images © Sergio Salma/Casterman – Photo © CYP/Brüsel

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Commentaires

  1. Francois Pincemi

    D’habitude, Monsieur Salma est plutôt sur actuabd, à donner de belles leçons de morale, de compassion et de tolérance, heureusement parfois avec humour. Là, il parle d’un livre sérieux qu’il a réalisé. Souhaitons lui bonne chance sur ce projet qui lui rapportera sans doute beaucoup moins que les petits gags rigolos dans Spirou.
    PS: quoi vous êtes déja quinqua? Je vous croyais plus jeune! Cordialement

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