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Mathieu Bablet : la claque « Shangri-La »

21 septembre 2016 |

mathieu-bablet-photoÀ seulement 29 ans, Mathieu Bablet vient de publier une vraie claque graphique et une des meilleures BD françaises de science-fiction de ces dernières années : Shangri-La. Le Grenoblois, formé à l’ENAAI et repéré très tôt par Run et les éditions Ankama (La Belle Mort, Adrastée, Doggybags), compose là une saga fleuve, où une humanité confinée dans une station orbitale, depuis que la Terre est devenue irrespirable, a abandonné toute religion pour le culte de la consommation. Riche en rebondissements, en thèmes fascinants et en décors superbes, cet album semble être celui de l’explosion artistique de son jeune auteur. L’occasion rêvée de le questionner.

Qu’est-ce qui vous attire dans le genre de la science-fiction ?

Je pense que c’est tout simplement mon genre favori. Je l’avais déjà abordé dans La Belle Mort et je souhaitais m’y plonger de nouveau. Et perpétuer un peu cette tradition de la SF de remettre en question, dans un récit futuriste, les problèmes des sociétés contemporaines.

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Vous abordez en effet de nombreux thèmes. N’avez-vous pas eu peur de partir dans tous les sens ?

bablet_johnEffectivement, j’ai eu envie de parler de plein de choses et j’ai pris le risque de tout intégrer ou presque. J’ai tout de même éludé le thème du féminisme que je pensais évoquer au départ, mais ça faisait beaucoup. Et j’ai fait court sur mon histoire de paradoxe temporel, par manque de place. Je me concentre sur le mode de vie consumériste et le capitalisme, que je décris comme une forme d’aliénation librement consentie par les habitants de la station. Pour changer des récits type 1984 de George Orwell, qui parle d’aliénation imposée de manière autoritaire. J’aborde aussi le racisme et le spécisme à travers le personnage de John et des animoïdes, l’aspiration au libre-arbitre des individus…

Ce sont finalement des thèmes assez classiques de la SF.

Oui, c’est vrai, mais la SF a toujours traité des sujets d’actualité, et ceux-ci sont toujours d’actualité. Et je pense que l’originalité peut venir de l’articulation de tous ces thèmes… J’aborde aussi un pur concept de SF, celui de la terraformation [la transformation d’un astre afin de le rendre habitable aux conditions terrestres] car je le trouve intéressant et crédible, et j’ai lu que Titan, le satellite de Saturne, pourrait peut-être accueillir un tel projet dans quelques décennies ou siècles… Et de là, j’imagine la création ex nihilo d’une nouvelle espèce humaine pour peupler cette nouvelle Terre : pour montrer que l’homme ne se fixera jamais de limite, quelles qu’en soient les conséquences, car il est fait ainsi, il a besoin d’aller toujours de l’avant.

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Vous citez Orwell. Quelles sont vos autres influences dans Shangri-La ?

De manière générale, je demeure inspiré par cette SF classique, comme Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, ou les films THX 1138 et Soleil vert. Pour le côté graphique, Alien m’a beaucoup aidé. J’aime l’aspect ni lisse ni épuré de ses décors. bablet_espaceIl y a aussi le film Sunshine de Danny Boyle, pour le côté contemplatif et le rapport de l’homme aux astres. Je trouve qu’il y a quelque chose de fascinant de placer un humain dans le noir abyssal de l’espace, face à une planète de la taille de la Terre. Dessiner les sorties dans l’espace de mes personnages me permet de symboliser ce rapport d’échelle entre l’Homme et l’univers.

Graphiquement, on sent une nette progression depuis La Belle Mort et même Adrastée.

Plus je dessine, plus les pages s’accumulent, et plus j’ai de facilité sur les décors et le découpage. Je peine encore sur les visages des personnages, je m’y reprends souvent à plusieurs fois, car j’ai du mal à leur dessiner des têtes vraiment différentes. L’anatomie a toujours été mon point faible, alors j’opte pour des personnages non réalistes dans un décor réaliste. Un truc inspiré des dessins animés japonais, très pratiques pour mieux faire ressortir les émotions.

Vos décors fourmillent de détails. Comment travaillez-vous ?

C’est un défi graphique et c’est ce que je préfère : bâtir un monde cohérent pour qu’il soit palpable, que le lecteur ait l’impression de pouvoir y entrer. Il faut pour cela inclure de nombreux détails dans les décors, sur les lumières, les écrans, les déchets au sol… Je me suis inspiré de l’architecture des stations de métro et des grands centres commerciaux, où le soleil ne pénètre jamais. Concernant ma technique, je dessine de façon traditionnelle, sur un papier d’un format entre le A4 et le A3, pas trop grand car sinon je dessinerai encore plus de détails ! J’encre au critérium, pour gagner du temps, et parce que c’est une étape où je suis moins à l’aise. Ensuite, je réalise la couleur de façon numérique, avec des calques de texture sur les couleurs pour appuyer les ambiances.

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Combien de temps avez-vous travaillé sur cet imposant livre, de 220 pages ?

Shangri-La m’a pris quasiment deux ans. Je l’avais proposé à Ankama comme une série en trois tomes. Mais Run [auteur de Mutafukaz et directeur du label 619] m’a dit qu’il préférait en faire un seul gros volume. Je ne suis pas déçu au final, car l’objet est très beau, exactement comme je l’imaginais.

bablet_videVivez-vous de la BD ?

Oui, j’arrive à en vivre. Mais parce que je fais tout, scénario, dessin et couleurs. Et que je travaille vite.

Vous avez également produit un petit bonus à Shangri-La, en turbomédia. Pourquoi ?

Le turbomédia est un support qui m’attire, comme une alternative à la BD sur écran, même s’il n’a pas encore de modèle économique. Ni bande dessinée, ni dessin animé, c’est une narration avec un rythme différent qui était intéressante de tester. Cela m’a permis d’élargir un peu l’univers de Shangri-La et de renforcer l’empathie envers le personnage de l’animoïde John, qui est un peu tragique.

Quel est votre prochain projet ?

Encore de la science-fiction ! Enfin, plutôt une histoire d’anticipation où il sera question d’intelligence artificielle et de la possible humanité des IA.

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Shangri-La.
Par Mathieu Bablet.
Ankama/Label 619, 19,90 €, septembre 2016.

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Commentaires

  1. Balika

    Merci beaucoup pour cette entrevue !

    « Shangri-La » est vraiment une pépite, par la diversité des thèmes abordés (classiques de la SF, notamment), l’aspect graphique, le scénario, les personnages. Une oeuvre tout à fait dans l’air du temps notamment sur les questions du totalitarisme, du scientisme, de la xénophobie et de l’exploitation animale.

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