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Yoshiharu Tsuge enfin intégralement traduit en français

15 novembre 2018 |

Yoshiharu Tsuge portraitLa semaine dernière, Atrabile rééditait l’indispensable L’Homme sans talent de Yoshiharu Tsuge, parue précédemment chez Ego comme X, éditeur disparu aujourd’hui. Dans la foulée de cette sortie incontournable, les éditions Cornélius viennent de dévoiler une information d’ampleur. Après avoir tenté d’obtenir les droits des récits du mangaka des années durant (l’auteur ayant systématiquement refusé), l’éditeur est heureux d’affirmer qu’il pourra enfin proposer les créations de cet auteur majeur de la bande dessinée japonaise. Ainsi, à l’image de ce qu’ont annoncé les éditions Drawn & Quarterly durant l’été, Cornélius constituera « une édition intégrale et inédite de l’œuvre de Yoshiharu Tsuge » en 7 volumes, le premier étant déjà annoncé pour janvier 2019 !

 

Un auteur au parcours chaotique

Né en 1937 à Tokyo, Yoshiharu Tsuge ne connaît pas vraiment son père, décédé l’année de ses 5 ans. Il est alors élevé par sa mère et son beau-père autoritaire. Suite à la Seconde Guerre mondiale et la pauvreté dans laquelle se trouve sa famille, il doit travailler dès l’âge de 13 ans. Timide, angoissé chronique et passionné de dessin, il s’est un temps imaginé marin. Avant de finalement se diriger vers un métier bien plus solitaire et lui correspondant mieux : auteur de bande dessinée. Entre pauvreté, dépressions nerveuses, tentative de suicide, fugues et retraits de la vie sociale, la vie et la carrière de l’auteur seront cahotantes et entrecoupées de périodes de doutes et de non créativité.

Après la publication de quelques strips à l’âge de 17 ans, c’est en 1955 que sort son premier récit Succube au masque blanc. Durant les dix années qui suivirent, il publie tant bien que mal quelque 90 histoires, principalement dans le réseau des librairies de prêt, en vogue dans les années 1950. Malgré son manque de succès durant cette époque, l’auteur est prolifique et novateur.

NejishikiPlébiscité par la rédaction du nouveau magazine Garo, il est sollicité pour publier dans ses pages dès 1965. Après quelques histoires qui provoquèrent de nombreuses critiques, il fait une pause dans sa carrière personnelle et devient assistant de Shigeru Mizuki (NonNonBâ, Opération Mort, Kitaro le repoussant…).  Un travail inspirant et salvateur. Il revient un an plus tard et devient dès lors l’une des figures de proue de Garo avec Sanpei Shiratô (Kamui Den…) et Yoshihiro Tatsumi (Une vie dans les marges, Cette ville te tuera, Rien ne fera venir le jour…).

Le tout premier hors série du magazine lui est d’ailleurs consacré. Ses anciennes œuvres y sont publiées aux côtés d’un inédit qui fera grand bruit : Neji shiki (La Vis). Ce récit commençant par l’image, dorénavant emblématique, d’un enfant brûlé par une méduse survolée par un avion ouvre une brèche surréaliste jusque-là inexplorée en manga (visuel ci-contre). Après sa période Garo et deux ans de pause, il reprend la plume en 1972 et ouvre son œuvre à un versant plus intimiste et autobiographique. Suite à une tentative ratée dans la vente d’appareils photo d’occasion, il revient pour une dernière salve d’histoires dont il tirera le one-shot L’Homme sans talent, la seule histoire longue de sa carrière. Il apposera finalement définitivement un point final à sa carrière en septembre 1987 avec la publication de Séparation, récit revenant sur sa tentative de suicide de 1962.

 

Un impact majeur sur le médium

Extrait Les Fleurs pourpres - La Famille de Monsieur LeeConsidéré comme un écrivain de « mangas d’auteur » à l’aspect littéraire, Yoshiharu Tsuge est aussi adoubé comme père du watakushi manga (« bande dessinée du moi »). Ce courant aux tenants autobiographiques tire profit des avancées artistiques du gekiga. Il propose une retranscription des faits réels, mais de manière romancée, afin d’en faire ressortir l’essence au lieu de se focaliser sur l’affect.

Influencé à ses débuts par le storytelling à la Osamu Tezuka et le gekiga naissant, le mangaka rejette par la suite le côté divertissant du manga et s’attèle à éclater la structure narrative propre au médium. Tsuge développe son art tout au long de sa carrière sous trois types d’histoires. Les récits de voyages, les nouvelles particulièrement surréalistes tirées de ses rêves, puis ses fameux « récits du moi ». Dans tous les cas, une fois sorti de la contrainte des publications normées, il s’attacha à un seul leitmotiv : la recherche du réalisme et de l’authenticité.

Expert des récits courts, il n’a jamais travaillé sur la moindre série. Son influence fut importante, notamment grâce à ses narrations novatrices et ses thématiques adultes. Avec sa vision sans fard et pessimiste de l’être humain, il a livré en plus de 30 ans de carrière nombre des récits les plus sombres et radicaux qu’a connu le gekiga. Reconnaissant l’impact des œuvres de Masahiko Matsumoto (Gekiga Fanatics) et Yoshihiro Tatsumi sur son propre travail, Yoshiharu Tsuge était également l’auteur favori de Tatsumi et l’une des influences majeures d’auteurs comme Shin’ichi Abe (Un gentil garçon, Paradis…).

S’il a pris sa retraite il y a maintenant plus de 30 ans, son influence sur le monde du manga est encore palpable aujourd’hui, notamment sur la scène indépendante au Japon et par ses pairs. Il a d’ailleurs remporté en 2017 le grand prix de l’Association des auteurs de bande dessinée japonais. Lui qui fuyait les normes et le succès laisse enfin ses œuvres parcourir le monde… même si ce serait davantage par défaut que par envie. Car, du propre aveu de Mitsuhiro Asakawa (éditeur des magazines Garo et AX et agent de Yoshiharu Tsuge), le mangaka a cédé aux demandes de publication internationales de ses œuvres suite à de sérieux problèmes de santé. Si c’est regrettable, ça reste une aubaine pour le lectorat étranger. Cela marquera inévitablement une nouvelle étape dans la reconnaissance de son travail, qui fut jusque-là malheureusement circonscrit au Japon et quelques initiés.

 

« Les Fleurs pourpres », premier tome d’une anthologie

Les fleurs pourpres Couv provisoireÀ l’image des luxueux volumes de l’anthologie de Yoshihiro Tatsumi (deux tomes parus à ce jour sur un total d’au moins cinq : Cette ville te tuera et Rien ne fera venir le jour…), le premier tome de l’anthologie de Yoshiharu Tsuge intégrera la collection Pierre des éditions Cornélius et arborera donc une couverture cartonnée, toilée et marquée au fer chaud. Le livre disposera également d’une jaquette américaine et de quelques pages en bichromie. Ce premier volume regroupera 12 œuvres de 1967 à 1968 que les éditions Cornélius considèrent comme les plus abouties (ce sont également ceux qui feront sa renommée à l’époque de Garo).

À la traduction, on retrouvera Léopold Dahan, spécialiste du manga alternatif et de Yoshiharu Tsuge. On lui doit notamment la traduction de Charivari ! de Maki Sasaki début 2018 (pour laquelle il est d’ailleurs sélectionné au Prix Konishi).

Au travers d’une édition propre aux éditions Cornélius, cette anthologie s’annonce imposante et couvrira les différentes époques créatrices de l’auteur de façon non chronologique. Le premier volet de 256 pages paraîtra le 24 janvier 2019 au prix de 25,50 €. Un deuxième tome est d’ores et déjà prévu pour août 2019 et les cinq suivants devraient paraître d’ici à 5 ans.

© Yoshiharu Tsuge © Cornélius

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