Artifices
Jean-Eugène Robert-Houdin est le plus fameux illusionniste français de ce milieu du XIXe siècle, mais il a quitté la scène des théâtres pour se consacrer à la fabrication d’automates. Il se laisse convaincre de remonter sur les planches par un militaire de l’Empire empêtré dans un conflit sanglant dans la colonie d’Algérie. Il s’agit de montrer la supériorité de la « magie » française aux adorateurs des marabouts locaux, pour retrouver un semblant d’autorité. À première vue, la perspective n’enchante guère l’artiste, mais l’idée d’éviter de nouveaux bains de sang le pousse à accepter…
Inspiré d’un événement réel qui fit de Robert-Houdin un prestidigitateur d’État le temps d’une tournée en Algérie orchestrée par l’armée, cet album aborde un pan peu abordé de l’Histoire coloniale française. Il montre un peuple algérien opprimé par une violence sans limite, et qui n’a comme seul espoir la lutte armée, bien avant la guerre du XXe siècle qui mènera à l’indépendance du pays. Et prendre le célèbre magicien de Blois pour héros est une jolie idée, car l’illusion est un art toujours fascinant. Encore fallait-il le mettre en scène correctement en bande dessinée, ce qui n’était pas gagné : Julen Ribas y parvient avec classe, par un trait réaliste enlevé et plein de charme, qui s’épanouit aussi dans les plans larges de décors, aux aquarelles lumineuses. Élégant et rythmé, l’album se déguste donc avec plaisir, même si ses personnages sont parfois trop caricaturaux – le colonel est évidemment froid et calculateur, le sorcier est dépeint en fourbe sanguinaire – ou finalement peu crédibles, telle la passionaria indépendantiste (même si elle est inspirée d’une figure réelle). Dès lors, certaines séquences sentent un peu trop fort la fiction à grand spectacle, tandis que le héros aux doigts agiles paraît bien naïf dans cette sombre aventure. Mais l’ensemble demeure bien documenté, original et plaisant, sauf si on veut pinailler.






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