Complètement Kafka
Alors que 2024 est l’année du centenaire de la mort de Kafka, sans doute le plus grand écrivain autrichien (mais aussi dessinateur), les biographies et hommages fleurissent. Dans ce champ, il n’est pas surprenant de voir Nicolas Mahler, auteur phare de la BD autrichienne, qui a publié de nombreux ouvrages jouant avec la littérature et la philosophie, aborder son compatriote.
Son Carrément Kafka propose une triple entrée dans l’auteur, dans une forme qui s’apparente plus à un texte (largement) illustré qu’à une bande dessinée. La fluidité des séquences est cependant là, dans une construction qui, si elle est chronologique, alterne de manière régulière un texte biographique, de nombreux extraits de lettres et journaux de Kafka et des adaptations des œuvres évoquées, dans de brefs résumés. Le dessin si caractéristique de Mahler est d’une parfaite efficacité, et accompagne ces triples récits de règles simples : pour la biographie et les citations un dessin en noir pur, parfois rehaussé de bleu ici ou là, les citations sont en italiques, pour les extraits d’œuvres une impression en bleu.
S’il est distinct du noir la rupture n’est pas non plus absolue, en le survolant on peut manquer cette évidence, soulignant par là combien l’œuvre et la vie de l’écrivain sont connectées. La sobriété de cette astuce comme de la mise en page donne un propos ciselé, pourtant étonnamment dense, qui laisse à voir un Kafka pas spécialement aimable, détestable avec les femmes, colérique, possiblement manipulateur, contradictoire… On y voit un homme qui déteste quasiment toute son œuvre, vit dans l’ombre d’un père effrayant et s’autodénigre quand il n’insulte pas les autres. On est loin de l’héroïsation propre aux biopics, la froideur propre à Mahler, connu pour sa causticité, crée une distance troublante, et pourtant, on veut avancer dans ce livre. L’alternance citée plus haut joue, nous faisant passer d’un déroulé biographique presque administratif à de soudaines images iconiques, comme la machine de la Colonie pénitentiaire…
Au détour de moments clefs et connus de la biographie de Kafka, d’autres éléments plus atypiques apparaissent : une lettre hilarante d’un docteur n’ayant rien compris à La Métamorphose (pas de réponse connue), une suite non officielle parue du vivant de Kafka, etc. Avec cette biographie à l’aspect strict, solidement sourcée, Mahler réussit paradoxalement à éviter la simple énumération alors qu’il enquille littéralement les événements. La forme y est sans doute pour beaucoup : son dessin encore plus évanescent que d’ordinaire, représentant Kafka comme un quasi-ver sans visage, et le fait de n’avoir souvent qu’un dessin par page.
Avec ces procédés, Mahler renouvelle son approche des figures littéraire, au-delà de l’adaptation testée dans Maîtres anciens ou Alice dans le Sussex, et signe un nouveau titre qui réussit à ajouter une nouvelle pièce réussie à son œuvre, tout en proposant une biographie intéressante d’une personne sur laquelle il n’y a plus grand-chose à découvrir.

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