Dernière bande



L’ex maire de V., désormais seul sur Terre, erre dans ses souvenirs sans quête précise, observant un double fantomatique qui revit orgies et coïts, condamné à l’obsession et au fantasme. Les corps se mêlent, se cherchent, les bouches et les sexes aussi. Pour compléter la toile, Lambert, geôlier de l’ex-maire de V., Pablito, immoral Apollon, suivi de la patrouille des Castors ou de la fille du facteur, sans oublier le jeune C., objet sexuel et « Burck » Danny, chargé d’épuiser les communistes vietnamiens par des séances de « pipage »… Les spectres du passé vont affleurer puis s’imposer au monde comme une évidence avant d’exploser en vol sous l’impact de la violence du souvenir…
Vous l’aurez compris, inutile de chercher à tout comprendre, là n’est sans doute pas l’intérêt d’un lecteur perdu entre l’impression d’un chaos visuel et l’expérience du doux vertige esthétique. Entre scènes vécues ou imaginées, réminiscences et chimères, scènes d’orgie ancrées dans la mémoire d’un lieu ou l’instant d’un cauchemar halluciné, on suit le quotidien projeté du narrateur en caméra subjective : les coïts succèdent aux orgasmes, les râles aux visions crépusculaires, dans un maelström d’images floues ou violentes, déformées par la force du fantasme ou exacerbées par leur intense réalité : « Des songes monstrueux peuplent les épiceries et les églises… et ces formes oubliées surgissent n’importe où dans mon casino désert, et emportent tout sur leur passage », confesse-t-il.
Comme les peintures éclatantes et presque fauvistes de Barbier, figuratives et expressives, magnifiques de tristesse, décrivant la force presque obsessionnelle du désir charnel, produisant un langage libéré de toute contrainte. Un univers naît sous nos yeux, source de malaise et de fascination. Du réel, condamné à la destruction, il ne restera plus rien, sinon des ruines et des cendres. Le sexe, lui, constituera le dernier souffle, la petite mort avant le trépas ultime. Célébrer les corps pour mieux dompter la mort. Difficile à cerner, Dernière Bande croise donc voix et regards subjectifs, fait de récitatifs « volants » épousant l’image ou en creux de la représentation. Qu’importe si Barbier est incompris, le testament assume toute rupture artistique. Radical, subversif, expérimental, cérébral, insaisissable, Dernière Bande interrogera donc le lecteur exigeant, en quête d’autre chose que d’un « beau dessin » et d’un « bon scénario ». Car la BD, fuyant tout consensus et appel ultime à la vitalité créative, est l’explosif geste artistique d’un auteur qui signe sa sortie en fanfare. Adieu donc.
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