Vahinés alanguies, nature luxuriante et moiteur tropicale : la Polynésie a inspiré à Paul Gauguin (1848-1903) quelques-uns de ses plus beaux tableaux. Lassé de la France, sous le charme des latitudes lointaines, le peintre s’est posé dans les îles Marquises en 1901. Malgré la créativité née du dépaysement, au bord du Pacifique, ses deux dernières années, racontées dans cet album, sont loin d’être apaisantes. L’homme dénonce le système colonial français mais s’enfonce dans la folie. Alcoolique, dépressif et excessif, au bout de lui-même, l’anticonformiste meurt d’une overdose de morphine. Le rêve exotique a tourné au vinaigre.

Au dessin, les couleurs saturées et le trait épais de Christophe Gaultier (Le Suédois, Le Fantôme de l’opéra…), servis par le choix d’un papier mat, évoquent plutôt bien l’atmosphère étouffante des îles et les tatouages polynésiens. Au scénario, Maximilien Le Roy, qui s’était déjà intéressé à Nietzsche et Henry David Thoreau, lève le voile sur une personnalité fantasque et tourmentée. Comme avec le penseur américain, Le Roy fouille, et c’est son mérite, un pan méconnu de la vie du peintre. Mais il s’attarde peu sur l’évolution du style du maître de l’école de Pont-Aven, préfèrant s’appesantir sur ses indignations devant le sort réservé aux populations locales et à ses errances. Sortir des figures imposées de la bio d’un artiste, ne s’intéresser qu’à une très courte période de sa vie : face à un monument comme Gauguin, le parti-pris est compréhensible. Mais il frustrera ceux, nombreux, qui connaissent mal l’histoire de son oeuvre.