Silent Jenny
Comme prévu, le futur n’est guère riant. Il est aride, violent, âpre, malade. Les abeilles et autres insectes pollinisateurs ont disparu depuis des années, rendant le monde infertile et exsangue. Rien ne pousse plus, sauf dans des laboratoires, et les humains restants vivent en clans fragmentés. Il y a la ville, bureaucratique territoire de survivance d’un capitalisme sans scrupule. Et il y a la route, chemins arpentés par les Monades, des communautés libres et autogérées avançant sans s’arrêter. Jenny vit dans l’une d’entre elles, aux allures de Château ambulant de Miyazaki. Solitaire, silencieuse et hantée par des visions morbides, elle est une chasseuse de traces d’abeilles dans les sous-sols de la Terre asséchée. Des traces qui porteraient l’espoir d’une renaissance pour l’humanité…
Après Shangri-La et Carbone & Silicium, Mathieu Bablet revient avec une nouvelle grande fresque de science-fiction, tout aussi ambitieuse sur le fond comme sur la forme. Et, en auteur inspiré et méticuleux, il ne se répète pas, choisissant de nouveaux axes de réflexion sur l’avenir des humains sur une planète qu’ils se sont échinés à saigner : se nourrir sans insectes pollinisateurs, réinventer les modèles politiques décentralisés, explorer l’infiniment petit pour survivre avec le minimum de matière. Dense et foisonnant, son récit emprunte ainsi des chemins de SF fascinants, comme ces chasses au trésor à l’échelle microscopique ou ces villages-véhicules tentant d’imaginer un nouveau vivre ensemble, avec toujours une pensée derrière le spectaculaire, des interrogations philosophiques subtiles tout en restant accessibles. C’est peut-être cela aussi qui distingue Silent Jenny de Carbone & Silicium, outre un dessin peut-être encore plus précis et charnel : malgré sa longueur (plus de 300 pages) et ses multiples sujets, il s’attache davantage aux femmes et aux hommes de son histoire qu’au développement d’une thèse futuriste sur leur avenir à court et long terme. Un choix pertinent, qui lui permet d’éviter de se répéter, et surtout de s’imposer encore un peu plus comme un des auteurs les plus intéressants de sa génération, dans le genre SF et au-delà.

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Bonjour,
Et seulement 4 étoiles pour le magistral » Soli Deo Gloria « … J’aime bien vous lire, mais là, j’avoue que je ne vous suis pas trop. L’univers de Bablet est intéressant, mais je ne comprends pas trop les critiques qui louent la profondeur et la richesse des réflexions de ses albums (ni qui font l’impasse sur les corps et les visages qui restent selon moi problématiques d’ailleurs). Je trouve que Bablet utilise et rappelle des thèmes importants, mais ça ne va pas plus loin, c’est bien articulé dans ce dernier ouvrage, c’est d’actualité, bien digéré (pour Miyasaki et son Nausicaa notamment), mais ça s’arrête assez vite je trouve. D’ailleurs, à bien des égards, qu’y a-t-il de moins dans » L’âge d’eau » par exemple ? Même aspiration des êtres à créer leur propre communauté, difficulté de s’affranchir d’un pouvoir centralisateur, aspirations de la jeunesse, même cérémonie funéraire et on n’en fait pas tout un flan pour Flao. Malgré tout, comme je l’ai dit, Silent Jenny reste l’album que j’ai le plus apprécié de cet auteur. Mais avec Soli Deo Gloria, nous avons à mon sens l’album de l’année, d’une qualité d’écriture rarement vue et un dessin prodigieux. Oui, l’histoire est classique, mais débutée comme un conte des frères Grimm illustré à la façon des graveurs du XIXème siècle, elle prend ensuite des accents tragiques qui rappellent l’intensité dramatique d’une oeuvre à la Milos Forman (et son remarquable personnage de Salieri notamment). Qu’est-ce qu’un grand classique, si ce n’est ici la symphonie parfaite entre l’écriture de Deveney et le dessin impressionnant d’E. Cour ? Ce récit fluide aux personnages réellement incarnés propose une réflexion très intéressante sur le génie créateur: l’artiste doit-il rendre des comptes ou revendiquer sa force créatrice pour lui seul au risque d’être écrasé, consumé par son propre talent ? S’il doit rendre des comptes, est-ce seulement à Dieu ? Des êtres humains n’ont-ils pas poli ce talent brut ? La recherche du geste créateur pur, parfait, peut-elle s’accompagner d’une quête de sagesse et d’humilité ou doit-elle s’accommoder des éclats, de l’orgueil de l’artiste génial ? Replacé dans le contexte, dans une époque rigoriste où chacun est tenu de respecter son rang et de rester à sa place, ce questionnement spirituel est très beau je trouve. Alors, oui, pour moi, » Soli Deo Gloria » a la beauté et l’éclat d’un grand classique et ce n’est absolument pas péjoratif.





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