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BoDoï, explorateur de bandes dessinées – Infos BD, comics, mangas | April 26, 2024















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Anne Goscinny : « Une œuvre survit à ses auteurs. »

26 mars 2008 |

Fille unique du scénariste d’Astérix et d’Iznogoud, Anne Goscinny a préféré devenir romancière plutôt que de se lancer dans la BD.
Elle veille toutefois scrupuleusement sur l’héritage laissé par son père.
Et s’exprime quant à la volonté d’Albert Uderzo qu’Astérix ne lui survive pas.
  

Êtes-vous favorable, dans l’esprit, à la reprise des séries après le décès de leur auteur ? N’est-ce pas nier le talent individuel d’un auteur que de croire que d’autres peuvent continuer leur œuvre ?
Il faut scinder cette question en deux cas de figure :
– le créateur en question est seul.
– le créateur est le co-créateur ce qui suppose que l’autre créateur lui a survécu.
Dans le premier cas, mon opinion est sans importance. Ou si elle compte c’est uniquement en tant que lectrice. Lorsqu’un auteur créé des personnages, installe un univers, décide d’y placer des adjuvants et des opposants récurrents, ainsi bien sûr que des enjeux qui auront en commun ce qui symbolisera l’univers précité, il donne à son oeuvre, inconsciemment peut-être, toutes les chances de lui survivre.

En effet les codes ayant été parfaitement énoncés sont donc suffisamment lisibles pour qu’un autre, un jour, puisse se les appréhender et la continuer. L’auteur qui alors reprendra une œuvre qui n’est pas, originellement la sienne mais qui appartiendra pour l’éternité à un autre devra pour survivre intellectuellement, avoir son propre univers, construire à côté. Donc, non je ne crois pas qu’une reprise d’une série préexistante soit la négation du talent de l’auteur d’origine. Au contraire même, elle peut être vécue par les lecteurs comme un hommage. La seule négation qui tendrait à me faire peur est celle de l’auteur qui vient après, l’auteur « bis ».
Dans le second cas, celui où nous nous plaçons dans le cadre d’une co-création, qui suppose donc que l’un des auteurs d’origine soit en mesure de continuer l’œuvre commune, la réponse ne peut appartenir qu’à celui qui reste. En effet, il faut au survivant un courage certain pour se substituer à celui qui donna avec lui la vie à des personnages de papier pour choisir désormais de travailler seul.
Certes les bases ont été jetées à deux, et sont donc plus facilement appréhendables par celui qui reste qu’elles le seraient par un tiers qui rejoindrait l’aventure après la mort de l’un de ses créateurs.
En ce qui concerne Astérix, je suis certaine que personne mieux qu’Albert Uderzo n’aurait pu reprendre la plume de mon père.
Il eût été injuste et triste que la mort d’un seul homme implique la mort d’un forgeron, d’un barde, d’un druide… On a beaucoup reproché à Albert de ne pas avoir le talent de mon père. Albert n’a jamais prétendu être le scénariste de génie qu’était mon père. Au jeu de la comparaison, on est toujours perdant. Albert Uderzo est l’un des dépositaires de l’esprit de mon père. Ils ont travaillé ensemble, ensemble ils ont inventé un village.
Si l’humour des albums d’Albert n’est pas celui pratiqué jadis par mon père, je me suis toujours sincèrement et vigoureusement insurgée contre la moindre critique formulée à l’encontre de l’un des huit albums qu’il a écrit seul.
On ne peut que lui rendre hommage d’avoir pris le risque de s’exposer comme il l’a fait au jugement des lecteurs et admirateurs de mon père. Lui reprocher d’avoir continué, c’est lui reprocher d’avoir survécu : c’est insupportable. Reproche-t-on à une veuve d’élever seule l’orphelin ? Lui demanderait-on d’abandonner l’enfant à d’autres mains pour que l’enfant ne soit pas en mesure de comparer l’éducation qu’il a reçue alors que son père vivait et l’éducation que lui dispense sa mère maintenant qu’elle est seule ?
Ainsi quel que soit le cas de figure, je pense que la reprise des séries, particulièrement des séries « cultes » (seules elles sont visées d’ailleurs) ne signifie pas la négation du talent de l’auteur originel, mais au contraire une reconnaissance suprême que l’on pourrait résumer simplement : « Oui tu es irremplaçable, mais nous n’avons pas pu nous passer de l’univers que tu as créé et qui nous a donné tant de plaisir. »

Certains éditeurs, comme Claude de Saint Vincent, estiment que les personnages de BD sont plus forts que leurs créateurs. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que cette assertion n’a pas grand sens.
Comment peut-on comparer un personnage de papier à celui qui lui a donné vie ? Dit-on que les marionnettes prennent le pouvoir sur le marionnettiste ?
En réalité vous posez là, d’une autre façon, la même question que la précédente. Qui restera le plus longtemps dans nos mémoires de Flaubert ou de Madame Bovary ? Ils sont égaux, mais il est impossible de les mettre sur le même plan. L’un a créé l’autre. L’autre a rendu l’un immortel.
On ne peut pas se placer dans un rapport de force qui opposerait créateur et créature. Ce serait absurde. Et puis il faudrait pour répondre objectivement à cette question se projeter au 22ème siècle. Là, on imaginerait un micro-trottoir qui poserait aux gens la question suivante : « René Goscinny, ça vous dit quelque chose ? » puis réitérer la question en remplaçant le nom du créateur par celui de son personnage.
Ceci dit, il me paraît normal de la part d’un éditeur de s’exprimer en ces termes. Une fois encore nous revenons à la question de savoir si on donne à un personnage le droit de survivre à celui qui l’a engendré.
Les éditeurs de bandes dessinées seraient donc soumis à la mort de ceux qui les font vivre ? Oui s’ils n’affirmaient pas ce que vous énoncez plus haut.
Et puis il y a une autre dimension qui tient à la personnalité de l’auteur. Il est vrai que certains auteurs de bandes dessinées ne se sont pas cantonnés à ce seul genre, cela leur donne une force que n’ont peut-être pas ceux qui ne sont jamais sortis de leur case !
Je pense en particulier à Philippe Druillet dont le génie s’exprime aussi bien, comme chacun sait, dans le domaine de la bande dessinée que dans celui de l’architecture, du design, ou de la sculpture. Ici il est évident que l’auteur en question prendra le pas sur ses créatures. Cela tient à la multiplicité de ses activités.
Mon père quant à lui n’est pas réductible à un seul de ses personnages. Lequel retiendra-t-on ? Le Petit Nicolas, Astérix, Iznogoud, Averell Dalton, Rantanplan ?
Tous mais peut-être l’avenir fera-t-il la part belle à René Goscinny pour l’homme qu’il était, pour son parcours étonnant, pour avoir créé le métier de scénariste, pour avoir fondé Pilote, ou tout simplement pour avoir déculpabilisé les adultes de lire des illustrés !

Pensez-vous qu’il soit nécessaire d’autoriser des suites ou des reprises après le décès d’un auteur pour que ses albums continuent de se vendre ?
La décision de créer des suites ne doit pas obéir en priorité à cet espoir. Elle correspond d’abord à un besoin. L’univers offert du vivant de l’auteur est-il clos ou peut-on lui donner encore une animation ? Le public attend-il encore du plaisir, de la découverte, de l’émerveillement ?
Voilà une autorisation qui implique une énorme responsabilité car elle est à double tranchant. En effet, si les albums qui suivent la mort de l’auteur induisent chez le lecteur, même de façon inconsciente, la pensée constante de la mort de l’auteur originel, la conclusion est simple à tirer : c’est raté. Lire en pensant tout haut ou en disant tout bas : « c’était mieux avant », ne me paraît pas très intéressant intellectuellement parlant. Dans ce cas, si tel est le cas, il faut vite passer à une autre série. Les déçus du second round auront deux possibilités :
la première, la nostalgie. Déçus par les opus qui auront survécu à la mort de leur créateur (ou co-créateur), ils reliront les albums qui les ont fait rêver. En général, et cela n’est que logique, les albums en question sont à jamais liés à l’enfance ou à l’adolescence des lecteurs mélancoliques.
La nostalgie prend alors ici tout son sens. Datée (forcément !) et qualitative.
La deuxième : rejeter en bloc la série car il l’auront assimilée à ce qui les auront déçus. Ils auront persévéré dans l’univers qu’ils ont aimé, mais dépités, ne retrouvant pas l’esprit qui les avait attirés, ils se détourneront de l’ensemble de l’univers pour jeter leur dévolu sur une autre série.
Cependant, dans le cas d’Astérix, ce que je viens d’énoncer n’est pas exact ! En effet, il y a incontestablement un « avant » et un « après ».
Cela est dit sans jugement de ma part. C’est simplement du bon sens. Quand quelqu’un meurt, un père, un mari, un ami, il y a au même titre un « avant » et un « après ».
Les lecteurs d’Astérix, après la mort de mon père ont continué à être fidèle à la série. Le merchandising et la promotion se développant, on peut même dire que les ventes des albums signés du seul Albert Uderzo ont été beaucoup plus importantes. Les moyens de communication d’aujourd’hui sont infiniment plus efficaces que ceux d’hier. Les amoureux d’Astérix ont continué à lui être fidèle.
On peut être fidèle de deux façons : en restant ami avec le survivant pour honorer la mémoire du disparu, ou bien en étant dans la dénégation de l’« avant », et en faisant mine d’ignorer la différence.
Peu importe, seul compte le constat : quand Albert sort un album, les lecteurs souvent éprouvent le besoin de compléter leur collection. Là, oui on peut dire que le fait qu’Astérix ne soit pas mort avec mon père a non seulement donné aux lecteurs le plaisir de lire de nouvelles aventures du petit gaulois, mais a aussi permis à ceux qui ne connaissaient pas encore Astérix de le découvrir en commençant par l’album tout juste sorti pour ensuite remonter le temps et découvrir les albums de mon père.
Il n’y a de chronologique dans les aventures d’Astérix que l’évolution du trait d’Uderzo. Indépendamment de cela, on peut les lire à loisir sans se préoccuper de la date de parution.
D’une certaine façon, parce qu’Uderzo a continué, oui les albums de mon père quand il en était le co-auteur ont continué à se vendre.
Mais j’ai la faiblesse (subjectivité filiale ?) de croire qu’ils auraient tout de même trouvé un public neuf, compte tenu de leur qualité.

Quel droit de regard avez-vous sur les reprises de séries créées par votre père ? Intervenez-vous beaucoup ? Quelles sont vos exigences ? Avez-vous déjà exercé un droit de veto sur certaines suites ou certaines exploitations de l’oeuvre de votre père ?
J’ai le droit moral. Inaliénable et incessible… Quand Albert Uderzo écrit un nouvel Astérix, il ne me soumet ni le scénario, ni le synopsis, ni même l’argument. Les choses se passent comme ça, je ne juge pas cette façon de ne pas solliciter mon avis (encore moins mon accord !), j’en prends acte et mieux, je comprends Albert : à l’origine ils étaient deux, aujourd’hui il est seul. Je n’ai aucune raison d’intervenir. Personne mieux que lui n’aurait su prendre en main l’avenir scénaristique d’Astérix (n’en déplaise à ses détracteurs).
Albert veut le meilleur pour Astérix, je veux le meilleur pour Astérix.
Pourquoi interviendrais-je alors qu’il donne à Astérix toute son énergie et toute la mesure de son talent. Albert est un homme que la vulgarité rebute, je n’ai donc strictement aucune raison d’être inquiète. Pour ne parler que du dernier album d’Albert (Le ciel lui tombe sur la tête), je ne suis intervenue que pour remercier Albert d’avoir eu la gentillesse de dédicacer son album à mes enfants.
Mes exigences sont celles d’Albert. D’ailleurs le seul droit de veto que j’ai eu à exercer, nous l’avons exercé ensemble, Albert et moi. Il s’agissait alors de s’opposer au scénario de Gérard Jugnot, une adaptation (très libre !) d’Astérix en Hispanie.
L’univers de Jugnot (dont par ailleurs j’aime infiniment le travail) était très éloigné de l’univers créé par mon père et Albert. Avec Albert nous avons été immédiatement d’accord pour ne pas donner suite à ce projet qui ne ressemblait à ce que nous souhaitions pour Astérix. Il n’y a même pas eu de discussions tant l’évidence nous rapprochait.
En ce qui concerne Iznogoud, nous sommes, à moindre échelle, dans la même configuration. En effet, Jean Tabary a continué seul les aventures de l’ignoble Vizir. Pour avoir beaucoup travaillé avec mon père, Tabary a donné à Iznogoud beaucoup d’autres possibilités de tenter de devenir Calife à la place du Calife. Toutes vouées à l’échec. Le succès commercial d’Iznogoud n’est, on le sait, pas celui d’Astérix. Cependant, Iznogoud est un personnage totalement atypique dans l’univers de la bande dessinée : son seul moteur est la méchanceté.
Cette question, enfin ne concerne pas Lucky Luke, car même si mon père a signé quarante-deux épisodes des aventures du cow-boy solitaire, il n’en est pas le créateur. Il a apporté à l’univers de Lucky Luke ce qui aujourd’hui fait qu’il est ce qu’il est, mais il n’est arrivé dans la vie de Lucky Luke qu’au neuvième épisode. Les Dalton tels qu’on les connaît aujourd’hui sont le produit de l’imagination de mon père ainsi que tous les personnages sans lesquels Lucky Luke n’aurait peut-être jamais acquis le renommée qu’il a aujourd’hui (Ma Dalton, Rantanplan, ainsi que la mise en scène de personnages historiques comme Calamity Jane ou Billy the Kid).

Est-ce difficile pour un ayant droit comme vous de voir d’autres auteurs s’emparer et, par nature, modifier l’univers créé par votre père ?
Je pense que vous faites là allusion aux différentes adaptations cinématographiques de l’œuvre de mon père. Car hormis pour Lucky Luke, dont comme je viens de le dire mon père n’est que (!) le scénariste, je n’ai pas le sentiment que l’on « s’empare » de l’univers créé par mon père. Les dessinateurs ayant à mes yeux la pleine et entière légitimité de façonner une œuvre dont ils sont, eux aussi à l’origine.
Concernant maintenant les différentes adaptations cinématographiques ou théâtrales de l’œuvre de mon père, je ne parlerais pas de modification de l’univers.
Il est logique que quand Jérôme Savary décide d’adapter Astérix au Cirque d’Hiver (cela devait être en 1988 si ma mémoire est bonne), la personnalité de Savary est telle que si on ne décide pas de lui faire confiance, mieux vaut ne pas lui donner d’autorisation du tout ! J’ai personnellement pour Savary une très grande admiration, il a fait « son » Astérix.
Même si ce n’est pas de son œuvre ce qui restera dans les mémoires, peu importe, il s’est amusé, le public aussi, et j’ai vu ma mère sourire, alors devant ce sourire je m’incline !
Pour ce qui concerne les adaptations en animation, elles sont en général très fidèles à l’œuvre. Mon père aimait le cinéma d’animation au point d’avoir créé, avec Albert Uderzo, ses propres studios (les Studios Idéfix où il a réalisé, Les douze travaux d’Astérix et La ballade des Dalton).
Les dessins animés réalisés après la mort de mon père sont inégaux en qualité. Mais le dernier en date, Astérix et les Vikings, inspiré de l’album Astérix et les Normands est formidable. Est-ce parce que le producteur s’est donné les moyens non pas seulement de financer mais aussi de comprendre cette œuvre, de la rendre accessible aux plus jeunes sans jamais sombrer dans une facilité préjudiciable ? Est-ce parce que l’animation était particulièrement bonne ? Je ne sais pas. Mais une chose est sûre, le film était réussi.
En ce qui concerne les adaptations en prises de vue réelles des albums d’Astérix, c’est une autre histoire ! En effet, il a fallu là que le public accepte de dépasser « son » Astérix personnel, intime.
Lors du premier film, celui mis en scène par Claude Zidi, j’ai entendu à la fin d’une séance un enfant dire à sa mère : « C’était bien mais dans la BD, Astérix, il n’a pas cette voix-là ». Donner un visage à ces personnages de légende que sont Astérix et Obélix était une gageure. Le choix des acteurs impliquait forcément que certains l’approuvent et que d’autres le désapprouvent.
Il ne fallait pas éloigner le public des albums en le décevant au cinéma.
Là oui c’est difficile pour l’ayant droit (quel drôle de terme qui conjugue participe présent et substantif… Participe au présent pourrait être une jolie définition de notre fonction, à nous qui survivons aux créateurs) que je suis de vivre ou de subir ce pari-là.
Le film de Claude Zidi avait le mérite d’ouvrir le feu, de montrer au public qu’on pouvait adapter cet univers. Très fidèle au graphisme d’Albert Uderzo, il ne manque à ce film que l’art d’un humoriste qui aurait apporté au film ce second degré si cher à mon père. Cependant j’ai aimé ce premier volet, fascinée par la réussite graphique, par le casting brillant et par une réalisation qui n’a pas inversé la proposition et qui s’est mise tout entière au service de l’œuvre.
Dans le film d’Alain Chabat, l’esprit de l’œuvre régnait en maître et non en dictateur. En d’autres termes, le réalisateur avait cette fois-là réussi à s’affranchir de l’œuvre originelle, sans jamais la trahir.
Il a compris qu’il était nécessaire pour mieux servir l’œuvre de contourner Astérix et Obélix en leur substituant dans des proportions qui ne lèseraient pas ceux qui viennent voir les célèbres Gaulois, d’autres héros (ici Jamel, Darmon, Baer, …). On retrouvait là l’humour de mon père, ou plus exactement l’humour d’Alain Chabat auquel je suis certaine que mon père aurait adhéré. J’ai été très troublée par ce film parce que pour la première fois depuis sa mort, je me suis dit que mon père était sinon remplaçable, du moins égalable. Compliqué à gérer pour mon ego oedipien ! Alain est incontestablement aujourd’hui l’un des dépositaires de l’esprit de mon père. Il possède, comme mon père, la grâce de faire passer l’anecdotique pour l’essentiel. Deux alchimistes.
Avec le troisième film, nous sommes dans une autre dimension. Les producteurs et les réalisateurs se sont donnés les moyens de réussir. La critique est aisée et qu’on ne compte pas sur moi pour hurler avec les loups. Ce film est truffé de trouvailles, la plus belle étant l’improbable couple Delon-Poolevorde.
Ce troisième opus doit beaucoup au deuxième. En effet, les scénaristes ont appliqué la recette de Chabat dont je faisais état : la nécessité de contourner les héros en leur substituant d’autres héros. Je n’imagine plus désormais qu’un autre acteur que Delon puisse incarner César.
Patrick Braoudé a signé un Iznogoud avec Jacques Villeret, parfait dans le rôle du calife et Michael Youn excellent dans le rôle de l’infâme vizir.
Mon père et Pierre Tchernia avaient d’ailleurs écrit un scénario pour un Iznogoud en prises de vue réelles. Ils avaient même pris le soin de faire état de leur distribution idéale. Louis de Funès avait bien sûr le rôle titre. Ce scénario est une merveille, avis aux cinéastes !
Par délicatesse, je n’évoquerai pas le film de Philippe Haim Les Dalton avec Eric et Ramzy.
Pour rester dans le western, il y a eu récemment le film d’animation produit par le studio XILAM, Tous à l’Ouest, inspiré de l’album de mon père La Caravane. Ce film n’a pas eu le succès qu’il méritait. Je ne crois pas au hasard. Quand un film destiné à un large public (si jeune soit la cible) déçoit ses producteurs c’est qu’il faut remettre en question un ou plusieurs ingrédients de la recette (celle qui compose, pas celle qu’on perçoit !). J’avais suggéré au producteur de s’en remettre au talent de Claude Bolling pour la musique.
Claude Bolling a toujours signé la musique des Lucky Luke réalisés par mon père et Morris. Je trouvais astucieux que ce compositeur génial soit le pont entre « l’avant » et « l’après ».
On ne peut pas adapter une telle œuvre en reniant le passé périphérique (musical en l’occurrence).
Il aurait peut-être fallu accepter, comme le faisaient nos ancêtres de cohabiter. Chacun respectait chacun, cela n’a jamais empêché personne de s’émanciper. Au contraire.
Quand on adapte un ou plusieurs albums de mon père, je n’ai pas le sentiment qu’on s’empare de son œuvre, j’ai la conviction qu’on lui rend hommage. Alors, oui certains hommages me rendent plus heureuse que d’autres. Mais l’unanimité en cette matière relève de la science fiction !
Quant au fait de modifier l’œuvre d’origine, c’est inhérent au principe même de l’adaptation. La limite étant la dénaturation.

Que pensez-vous des auteurs qui décident de leur vivant que leur œuvre mourra avec eux ? En l’espèce, que pensez-vous de la volonté exprimée par Albert Uderzo qu’Astérix ne lui survive pas ? Avez-vous votre mot à dire dans cette décision ?
Il faut ici à nouveau faire la distinction que j’ai faite précédemment : ou bien l’auteur est seul, ou bien ils sont deux. S’il est seul, comme ce fut le cas d’Hergé, les ayant droits n’ont pas à tergiverser. Une volonté a été exprimée, il leur appartient de la respecter. Il me semble que la parole ante mortem est (ou devrait être) souveraine.
La Cour de Cassation semble en avoir jugé différemment dans l’affaire Les Misérables. Victor Hugo pensait son œuvre achevée, elle connaîtra pourtant une suite.
Et puis peut-on dire qu’une œuvre est mortelle ? Si oui, c’est qu’elle ne méritait pas de survivre à son créateur.
Je respecte les auteurs qui ont peur que soit dévoyé leur univers.
Dans le cas d’Astérix, c’est différent : il y a deux créateurs. L’un des deux n’a pas eu le temps d’exprimer la volonté que ne lui survive pas son personnage. Au contraire même. Mon père et Albert Uderzo s’étaient mutuellement donnés le droit de continuer l’œuvre commune si l’un des deux venait à disparaître prématurément. Précaution qui hélas ne s’est pas avérée superflue.
Je n’ai pas à juger la volonté exprimée par Albert. Cependant elle me surprend et m’attriste car elle prouve qu’il n’a manifestement pas suffisamment confiance en ses héritiers pour que soit après lui respectée l’esprit de son œuvre.
Astérix est toute sa vie et je peux entendre qu’il mette tout en œuvre pour le protéger.
Mais si on poussait cette logique jusqu’au bout, il faudrait alors qu’il prenne les mêmes mesures pour tout ce qui touche au personnage. Je pense naturellement aux adaptations cinématographiques, ainsi qu’aux produits dérivés.
Interdire que soit poursuivie l’œuvre éditoriale mais autoriser que naissent d’autres formes d’exploitations qui mettront a fortiori en œuvre le talent d’autres scénaristes et dessinateurs ne me semble pas très cohérent.
S’il estime être le seul habilité à faire vivre Astérix, alors il faut également empêcher que voient le jour des projets qu’il n’aura pas cautionnés. S’il ne prend pas cette décision-là aussi, alors j’avoue ne pas comprendre pourquoi il s’exprime en ces termes.
De toute façon, Astérix lui survivra, comme Tintin a survécu à Hergé, comme Gaston Lagaffe a survécu à Franquin. Les personnages de papier ne meurent pas.
Constat inaudible pour les humains que nous sommes !
Mais à l’origine de l’aventure qui nous occupe aujourd’hui, ils étaient deux. La déclaration d’Albert Uderzo n’engage que lui. Mon père ne s’est jamais exprimé sur ce sujet. Je suis dépositaire du droit moral de mon père, à ce titre il eut été juste de me demander si je pensais qu’Astérix avait droit à une seconde vie.
Je ne me permettrai jamais de prendre la parole pour mon père. Jamais non plus, je ne le ferai penser, rire ou sourire. Mais ne pas solliciter mon opinion à ce sujet est une forme de négation de l’auteur mort de la part de l’auteur survivant.
Je ne remets pas en question le bien-fondé de la décision d’Albert. Je m’interroge, comme vous du reste, sur sa légitimité à agir unilatéralement.
Il est important de rappeler qu’à aucun moment je ne cherche à me substituer à l’absent. Au contraire. Mais apprendre par voie de presse qu’Astérix n’aura pas d’avenir éditorial m’a semblé pour le moins étrange.
Alors, pour reprendre les termes de votre question, est-ce que j’ai mon mot à dire dans cette décision ? Juridiquement parlant, oui. Moralement parlant, aussi.
Si l’histoire avait été différente, mon père aurait-il demandé à la fille d’Albert si elle épousait son opinion ? L’aurait-il sollicitée pour recueillir son avis ? Si leur façon d’envisager l’avenir avait été différente, aurait-il engagé une discussion pour tenter de la convaincre et de la rallier ainsi à sa cause ? J’ai la faiblesse de penser que oui, il aurait eu la sensibilité de l’écouter. Et que oui, il aurait tenu compte de l’opinion de la personne que son ami avait le plus aimée sur cette terre.
Mais je répugne à cet exercice, me tenant à ma résolution de ne pas faire parler celui qui n’a plus de voix humaine.
Il me semble pourtant que la décision d’Albert nie le principe même de transmission.
Un auteur peut être inquiet de ce que deviendra son « enfant » après sa mort. C’est légitime. Mais un créateur a offert un univers au public qui peut ne pas comprendre qu’il soit clos.
Une suite respectueuse constitue un bon équilibre entre les droits des uns et les attentes des autres.
Pour autant il ne s’agit pas de laisser vendre ce personnage aux marchands du temple. Le droit moral permet de conserver la nature de l’univers créé. Les enfants biologiques peuvent veiller sur la descendance intellectuelle.

Quel type de rémunération percevez-vous en tant qu’ayant droit (je ne vous demande bien évidemment pas le montant, qui m’intéresse peu, mais la nature) ?
S’agit-il uniquement d’un « droit de suite » (10% de la part normale de l’auteur décédé) ou existe-t-il d’autres formes de rémunération ?
Je perçois sur les albums de mon père la rémunération qu’il aurait perçue s’il avait vécu. En ce qui concerne les albums qu’Albert Uderzo a écrit seul, de même d’ailleurs que pour les albums de Jean Tabary, je perçois un droit de suite.
Pour ce qui est des albums de Lucky Luke, bien que mon père soit à l’origine non pas du personnage, mais de l’univers qui souvent prend le pas sur le personnage lui-même, je ne perçois rien.

Que pensez-vous de ceux qui décident de confier les droits de leurs personnages à une fondation pour les gérer ? Avez-vous été tentée par cette option ?
Je respecte chacun. J’ai la chance d’avoir l’énergie de gérer moi-même ce que mes parents m’ont laissé. Astérix a perdu un père en 1977, il n’était pas question qu’il perde une sœur. Non jamais je n’ai été tentée par cette option. Elle n’aurait aucun sens. Et puis, moi je n’oublie pas que les personnages de mon père sont tous des co-créations. Quand ont survécu les co-créateurs, la gestion se pense à deux. Ou devrait se penser.
Je ne sais pas ce que feront plus tard mes enfants, ni les chemins qu’ils prendront. Mais je les veux soucieux du devoir moral qui leur incombera.

Anne GOSCINNY

 

 

 

Commentaires

  1. foster

    Il faut qu’Asterix continue à vivre, même après la disparition des ses pères aussi talentueux soit-il. Il est dommage que Tintin, n’ai eu aucune suite car il aurait été en phase avec l’actualité comme il l’était à son époque.Il suffit de voir comment Blake et Mortimer poursuivent une nouvelle jeunesse. J’aurai juste un regret du reste pour cette série, c’est de continuer à les faire vivre dans les années 50 plutôt qu’à notre époque. La nostalgie c’est bien, mais bon faut aiss regarder devant soi.

    Aussi j’espère qu’Astérix continuera et qu’Albert Uderzo ne s’y opposera point

  2. foster

    Il faut qu’Asterix continue à vivre, même après la disparition des ses pères aussi talentueux soit-il. Il est dommage que Tintin, n’ai eu aucune suite car il aurait été en phase avec l’actualité comme il l’était à son époque.Il suffit de voir comment Blake et Mortimer poursuivent une nouvelle jeunesse. J’aurai juste un regret du reste pour cette série, c’est de continuer à les faire vivre dans les années 50 plutôt qu’à notre époque. La nostalgie c’est bien, mais bon faut aiss regarder devant soi.

    Aussi j’espère qu’Astérix continuera et qu’Albert Uderzo ne s’y opposera point

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