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Anthony Pastor : le polar et les symboles

9 juin 2014 |

anthony_pastor_photoAssurément l’une des belles sorties de ce premier semestre, l’explosif western urbain Bonbons atomiques, entre polar noir et réalisme social, signe le retour d’Anthony Pastor, après le Fauve obtenu à Angoulême pour Castilla Drive (2013). Une nouvelle fois, l’auteur de Las Rosas nous enchante avec une étude de mœurs portée par le mystère et la lumière de ses paysages, ainsi qu’une galerie de personnages à l’unisson, elle aussi haute en couleurs. Rencontre avec un auteur affable et volubile… 

Comment est né Bonbons atomiques, polar noir à la croisée des genres ?

Depuis Castilla Drive, classé dans la catégorie polar à Angoulême, j’avais la volonté de m’inscrire plus nettement dans ce genre. Quand j’ai imaginé Sally, je m’étais déjà posé la question de savoir si j’allais en faire une série. Mais j’avais développé le scénario de Bonbons atomiques en parallèle de celui de Castilla Drive, avec d’autres personnages. Au moment d’en commencer la réalisation, je voulais encore dessiner Sally, Osvaldo, les ancrer dans d’autres décors et poursuivre l’exploration de leur vie. Il fallait simplement redistribuer les rôles. L’écriture de l’intrigue m’a pris trois à quatre mois.

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Bonbons atomiques est difficile à classer. Comment pourriez-vous définir cette suite qui peut se lire comme un one-shot ?

C’est ce que l’on trouve dans la littérature policière, des romans indépendants où l’on suit des personnages qui vieillissent d’une histoire à l’autre. Il faut savoir que la lecture de polar m’a fait revenir à la bande dessinée. Ici, je fais clairement un roman noir. Je mets un fil directeur en place, un style d’écriture ponctué de rebondissements, histoire d’accrocher le lecteur. C’est un genre très symbolique. L’idée, c’est d’introduire des gens ordinaires dans des situations extrêmes. Il en résulte des faits extraordinaires qui permettent aux sentiments les plus profonds de jaillir. Au-delà du polar, mon intérêt est surtout de raconter des vies, de faire des études de mœurs, de pousser la psychologie des personnages.

pastor_sally_centraleVos décors étudiés, léchés ou fascinants, ont dans vos récits autant d’importance que vos personnages. Il est presque question de psychogéographie.

Avant la BD, j’ai surtout fait du théâtre. Mes décors viennent de là. Pour avoir une bonne histoire, il faut un décor bien planté, suggestif ou évocateur. Je suis en quelque sorte un situationniste, au sens littéral. J’ai le sentiment que les individus réagissent différemment en fonction de l’environnement où ils se trouvent. J’écris en effet une histoire réaliste mais, en même temps, je suis dans la représentation. La BD, c’est cela. Les récits fonctionnent à partir de signes et de symboles. Le décor, c’est aussi une manière de mettre le lecteur à l’aise, de définir des bornes pour mieux le faire entrer dans l’histoire par les ambiances. Si tout n’est pas intellectualisé dans mes livres, j’essaie que tout fasse sens : les couleurs, les cadrages, la lumière…

On sent chez vous l’envie de raconter le destin des oubliés du rêve américain, des marginaux, des écorchés vifs. Existe-t-il une dimension politique ou critique dans vos histoires ?

Oui, bien sûr. Aux États-Unis, on utiliserait l’expression « white trash » pour désigner ces personnes. Le rêve américain, c’est bien beau mais j’aime surtout explorer le revers des médailles, rendre héroïques des « petits gens ». C’est peut-être lié au parcours de mon père, immigré espagnol qui s’est fait tout seul. En tout cas, je me sens à l’aise pour raconter des histoires de gens simples.

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Vos BD se situent quelque part en Amérique, entre les États-Unis et le Mexique. Éprouvez-vous une fascination pour ce continent, ses clichés ou ses images ?

pastor_sally_motelÇa me pose toujours question. Je suis un amoureux de la photo américaine. Ado, j’ai longtemps vécu en Espagne, celle de l’après-Franco. La société y était très américanisée et j’ai baigné dans cette culture mixée anglo-saxonne/espagnole. L’Amérique, c’est la page blanche, l’idée d’un pays sans héritage qui cherche ses racines. Moi-même j’ai du mal à expliquer d’où je viens. C’est vrai, j’aime utiliser les clichés d’un genre, d’un pays. Le lecteur les connaît, il a le goût de ces images. En même temps, c’est une contrainte. Comme dans un exercice de style, je dois m’en servir tout en m’en éloignant. J’essaye ainsi d’universaliser le propos par l’anonymat relatif des lieux, leur indétermination.

pastor_sally_afbVos personnages ont justement une double dimension : à la fois profonds et fantomatiques, ils nous échappent tout en donnant l’impression de nous être familiers. Existe-t-il un rapport ou une analogie entre eux et vos paysages ?

Je joue sur les clichés apparents mais je tente en effet de les contourner chez les personnages. Ce qui m’intéresse, c’est de camper des personnes, fouiller leur psychologie, montrer des parcours de vie, explorer une gamme de sentiments. J’adore aussi dessiner des visages. L’histoire va ensuite les forger. Dans Bonbons atomiques, l’homme revient finalement aux problématiques qui le hantent : l’amour, la mort…

Les femmes jouent un rôle central dans vos récits. Pourquoi ? Êtes-vous féministe ?

Oui ! En fait, j’interroge surtout les relations homme-femmes car il me semble que tout reste encore à faire en matière de parité ou d’égalité des droits. Quoi qu’on en dise, on vit toujours dans des sociétés machistes et patriarcales. Dans l’écriture, je suis plus à l’aise avec les personnages féminins. Je fais des récits intimistes mais je ne suis pas du tout dans l’autobiographie. Ces personnages me permettent de prendre de la distance. Je parle des femmes car, dans ma vie, ce sont les parcours qui m’ont le plus marqué : les femmes qui m’accompagnent, celles que j’ai rencontrées. J’ai connu pas mal d’écorchées vives. Les mettre en scène, c’est aussi un contrepied à l’image sexiste de la BD que j’ai connue. Dans les séances de dédicaces, on me reproche souvent de ne pas faire des personnages assez beaux. D’une certaine manière, c’est rassurant, cela signifie que je m’éloigne de certains clichés. Sally représente une forme de solitude, elle travaille, doit gérer les mômes. Je lui rends hommage en quelque sorte. Bon, c’est vrai, elle passe souvent en force, je vais peut-être l’adoucir…

pastor_sally_osvLe rythme de vos BD est souvent assez lent. Est-il difficile de trouver le bon équilibre entre dialogues, récitatifs et scènes contemplatives ?

Quand j’écris le synopsis, je sais à peu près où je vais, sans avoir encore écrit les dialogues. Je les modifie jusqu’au dernier moment. Dans Bonbons atomiques, j’ai  vraiment essayé d’alterner récitatifs, dialogues, scènes contemplatives pour éviter de tomber dans des tics d’écriture. Faire de la BD consiste finalement à trouver cet équilibre, définir le squelette entre les images et le texte. En dis-je trop ou pas assez ? C’est toujours instable, la case ne donne pas le temps, il faut lui donner du souffle. J’aimerais avoir le temps de plus développer mais j’ai tendance à en mettre trop. Sans voix-off, il me manque des choses. J’aime ce matériau, jouer avec même si je dois m’en méfier. Le récitatif c’est de la littérature et il fait partie intégrante de mes BD. J’aime ça.

Y a-t-il une évolution dans votre technique de dessin ?

Oui, depuis Ice Cream, pour lequel j’ai utilisé un style très différent, les choses ont toujours pas mal bougé, et elles vont encore évoluer. Ces changements sont dus à différents facteurs. Le premier, tout bêtement, est le temps qui passe, et nous qui changeons. Puis vient l’envie et le besoin de garder son dessin vivant et de questionner sa pratique. Ensuite, c’est aussi ma recherche autour du processus d’écriture, mes méthodes changent et par conséquent le style aussi. Je suis passé au tout numérique pour des raisons de souplesse. Pour finir, le contenu de ce que je raconte infléchit aussi les choix graphiques.

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Des projets ou une suite est-elle prévue à Bonbons atomiques ?

Je commence beaucoup de choses en même temps, j’ai des notes sur différents projets. Je vais ensuite laisser passer du temps et on verra ce qu’il en reste. Mais ces personnages ont sans doute encore des choses à dire, à exprimer, c’est certain.

Propos recueillis par M. Ellis

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Bonbons atomiques.
Par Anthony Pastor.
Actes Sud / L’An 2, 21,90 €, janvier 2014.

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