La France face à son histoire: 3 albums font travailler la mémoire
Le genre historique est un des piliers de la bande dessinée francophone. On ne compte plus les aventures moyenâgeuses, les fictions antiques ou les récits de guerre. Mais quid des heures sombres de l’histoire de France ? Des moments où nos gouvernants ont bafoué l’idéal démocratique ? Où les citoyens eux-mêmes ont dû choisir un camp ? Sur ces questions, les albums se font plus rares.
Toutefois, dans la lignée des historiens de la fin du XXe siècle, les scénaristes s’emparent de plus en plus de sujets jugés sensibles. La Seconde Guerre mondiale, l’Occupation et l’immédiat après-guerre sont désormais régulièrement abordés. Et c’est tant mieux, car l’économie de mots et la force des images propres au neuvième vaut parfois mieux qu’un pesant et timide cours d’histoire.
Trois albums récents témoignent de cette tendance actuelle. Et dans trois styles bien différents. Le Dernier des Schoenfeld se présente comme une quête de vérité : celle d’un jeune écrivain qui découvre que sa mère est en fait sa tante, et qu’il descend d’une riche famille juive française persécutée pendant l’Occupation. Tahya El-Djazaïr se penche sur les dernières années de l’Algérie française et confronte un ancien résistant à la dure réalité de la colonisation. Enfin, le deuxième volume de Commando colonial poursuit, sous couvert d’aventure militaire, son portrait des Forces françaises libres en Afrique et dans l’Océan Indien pendant la Seconde Guerre mondiale. Et questionne les notions d’engagement, d’honneur et de patriotisme.
Le passé enterré
Dans la préface au premier tome du Dernier des Schoenfeld, la co-scénariste Agnès Bartoll raconte sa propre histoire. Comment elle a découvert que ses grands-parents juifs avaient été déportés, suite à une dénonciation. Comment elle a compris tout ce que sa mère lui avait caché: « Elle qui toute sa vie durant n’a jamais voulu me parler de ce passé chaotique, elle qui perdit tous les siens et se retrouvait seule au monde à l’âge de 18 ans. »
De « cette réalité terrible », Agnès et Jean-Claude Bartoll ont tiré une « fiction vraisemblable », l’histoire d’un jeune écrivain américain à qui la mère mourante révèle qu’il est en réalité son neveu, que son vrai nom est Schoenfeld et que ses racines sont en France. Ni une, ni deux, il s’envole pour le Sud-Ouest et découvre le passé de sa famille, opulents commerçants juifs, dénoncés et spoliés pendant l’Occupation.
Malgré quelques raccourcis narratifs un peu cavaliers, ce premier volume séduit par une construction équilibrée dans les allers-retours présent-passé. Et par le soin quasi-pédagogique apporté pour brosser le décor de la France occupée et ce qui pouvait se passer dans les esprits de l’époque: la tentation de la collaboration, la nécessité de la résistance, et un entre-deux compliqué à tenir. Le dessin enlevé de Cédric Hervan dédramatise un poil le propos, mais ce n’est finalement pas une mauvaise idée car il évite ainsi au récit de devenir trop pesant.
Le Dernier des Schoenfeld #1.
Par Cédric Hervan, Agnès et Jean-Claude Bartoll.
Glénat, 13 €, le 27 mai 2009.
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Les « événements » tabous
Il n’y a pas si longtemps, on ne parlait pas officiellement de « guerre d’Algérie », mais des « événements ». Ce voile n’était pas celui de la pudeur mais bien celui de la honte sur ce qui s’était réellement passé dans les dernières années de la présence coloniale française en Afrique du Nord. Après L’Envolée sauvage, Quand souffle le vent ou L’Enfant maudit, le scénariste Laurent Galandon revient avec une nouvelle page obscure de l’histoire de France.
Alger, 1954. Un nouvel instituteur – et ancien résistant – débarque en ville et renoue de vieilles amitiés, avec un militaire blanc et un gérant de cinéma arabe. Et tombe amoureux de la fille de ce dernier, qui semble impliquée dans les attentats qui secouent le pays… En quelques pages, tout est là: la situation d’un peuple qui ne supporte plus le poids de la métropole; les actes de racisme ordinaire; la violence des militaires; la question de la résistance à l’oppresseur, et les crimes horribles qu’elle peut engendrer.
Dans ce premier tome d’un diptyque, Laurent Galandon met en avant le dilemme de son héros, qui sait ce que résister à l’occupant signifie, mais qui ne comprend pas vraiment pourquoi Algériens et Français ne peuvent vivre en paix. Tiraillé entre son patriotisme et ses amitiés d’un côté, et son honneur et son amour de l’autre, il va devoir prendre une décision. Le scénario, instructif et humaniste, est d’une efficacité redoutable. Le dessin de A.Dan est un peu hésitant, mais illustre correctement le récit. On espère simplement que les auteurs ne laisseront de pas de côté le délicat sujet des Pieds-noirs dans le second volume.
Tahya El-Djazaïr #1.
Par A.Dan et Laurent Galandon.
Bamboo/Grand Angle, 12,90 €, le 3 juin 2009.
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La guerre, si loin, si proche
L’an dernier, l’excellent scénariste Appollo et le non moins doué dessinateur Brüno s’associaient pour donner naissance à une imparable série d’aventures en temps de guerre, Commando colonial. Le deuxième volume avance sur le chemin tracé par le premier: raconter de palpitantes histoires de combat et d’espionnage en terre africaine, inspirées de faits réels, où des résistants gaullistes tentaient de contrecarrer les plans des nazis.
On retrouve donc le major Antoine Robillard et son acolyte bourru Maurice Rivière, prisonniers dans un sous-marin allemand. Alors que le sujet de l’implication des habitants des colonies françaises dans la guerre était au cœur du premier tome, ce sont les questions de l’engagement et du patriotisme qui structurent ce deuxième opus. De nombreuses pages sont ainsi consacrées à la relation d’estime entre l’officier français et le capitaine nazi. Les deux hommes, originaires d’Afrique, ne se considèrent pas vraiment comme Européens, et concèdent vivre la guerre d’un peu loin. Mais ils sont portés par leur sens du devoir et un certain goût pour l’aventure. Ces discussions cordiales font naître une interrogation, soulevée par le soldat Rivière: peut-on se lier d’amitié avec un ennemi sans trahir sa patrie ?
Rarement sujet aussi fort aura été abordé de manière si subtile et grand public. Appollo maîtrise l’art du portrait juste et du dialogue efficace. Le dessin de Brüno, véritable renouveau du style ligne claire, développe une empathie immédiate avec ces personnages crédibles, tout simplement humains. Commando colonial est ainsi beaucoup plus qu’une série d’aventures. C’est une bande dessinée qui fait voir la guerre autrement, à hauteur des hommes.
Commando colonial #2.
Par Brüno et Appollo.
Dargaud, 10,40 €, le 19 juin 2009.
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Images © Glénat – Bamboo – Dargaud
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juillet 3, 2009
Concernant Tahya, pourquoi tout mélanger ? Si l’on parle des pieds noirs, pourquoi ne pas parler des Harkis, ou du FLN ou montrer à contrario des soldats français tortionnaires, des soldats français dépassés par ce conflit et horrifiés par ce qu’on leur demande ?
La Guerre d’Algérie est un vaste problème et je ne crois pas que le propos de Laurent et adan soit d’en englober tous les aspects en un dyptique. -
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