Sous-titré « une histoire des médias », cet épais essai graphique étudie en effet la naissance et l’évolution des médias aux États-Unis et tente de décrypter leur mode de fonctionnement, pour mieux expliquer pourquoi l’opinion publique se déclare souvent déçue de leur travail. Au fil de quelque 160 pages, la journaliste américaine spécialisée dans l’étude des médias Brook Gladstone raconte l’émergence des premiers journaux, les changements de cap dans leur ligne éditoriale et leur modèle économique, les relations avec le pouvoir, la prétendue objectivité du journaliste, la tentation de la facilité pour présenter les faits, la délicate couverture des conflits armés, etc. Autant de sujets passionnants qui sont décortiqués dans un esprit pédagogique mais jamais simplificateur.

La grande force de cet ouvrage réside dans la complicité parfaite entre la scénariste et le dessinateur. En effet, pour rendre digeste leur étude fouillée de la chose journalistique, riche en références scientifiques, historiques ou littéraires, ils mettent en scène avec légèreté et humour la journaliste elle-même, comme un prof sympathique qui s’inclurait dans ses leçons d’histoire et d’économie. C’est elle qui parle, mais aussi qui fait parler les protagonistes, et même si elle se concentre sur les médias américains, le lecteur français n’est jamais paumé pour autant. Au-delà de cette réussite narrative – qui démontre une nouvelle fois tout le potentiel de la bande dessinée documentaire –, ce qui séduit dans le discours de Brooke Gladstone est qu’il n’est pas manichéen, et qu’il ne prétend pas délivrer une vérité unique. De plus, ce n’est ni une charge contre les médias de masse, ni un plaidoyer aveugle pour la défense des journalistes. Brooke Gladstone, en partant d’exemples marquants, de témoignages de professionnels et d’études scientifiques, dessine quelques grandes constantes dans l’observation du monde médiatique, mais exprime aussi ses doutes et ses interrogations face aux errances de ce dernier. Pointu, juste et passionnant.