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LES SOUVENIRS DE PAUL GILLON 5/5

22 mai 2006 |

« J’OUVRE PARFOIS DES PORTES SANS OSER LES FRANCHIR »

Portrait GILLONComment naît une histoire des Naufragés du temps ?
Je remplis des cahiers de notes, de situations, de bribes de dialogues drôles, significatifs ou riches de promesses. Je fais des croquis d’ambiance, de personnages. J’accumule. Petit à petit, un récit prend forme, avec juste quelques grandes lignes et beaucoup de flou. Je tiens beaucoup au flou à ce niveau-là. Ça permettait ensuite d’intégrer des tas de choses. Je dépose le tout dans un coin et n’y pense plus pendant trois ou six mois. Et puis un jour la nécessité fait loi… Il faut s’y remettre. Je m’enferme dans mon bureau, ou bien je vais me promener dans le parc. Là, je me force à penser à tout ce que j’ai accumulé. Il y a des croquis mentaux qui m’apparaissent, des réflexions qui me viennent. J’essaye de m’imbiber de mes personnages, de me mettre à leur place, de vivre leurs réactions. Il me vient des mots, des phrases, des douleurs parfois inexprimables. Le problème est de les exprimer, de trouver les mots qu’il faut.
Comment se passe la cohabitation Gillon scénariste – Gillon dessinateur ?
Quand la totalité des pages est réalisée sous forme de croquis et dialogues d’une façon très schématique, je passe à l’exécution.


Gillon dessinateur respecte-t-il toujours le canevas de Gillon scénariste ?
C’est tout l’intérêt d’avoir les deux casquettes ! Parfois en dessinant, j’imagine une situation qui me paraît plus intéressante que celle prévue. J’aménage. J’ai souvent ce que j’appelle « la tentation de la porte ». Souvent, en dessinant par exemple un élément du décor, je me rends compte qu’il pourrait perturber l’histoire. Je sens qu’une porte est là, qu’il suffirait de la pousser pour que tout change. Je dois choisir. Engager mes personnages dans l’inconnu ? Souvent j’ouvre la porte, mais sans oser en franchir le seuil. Ainsi dans Tendres chimères: Christopher traverse des mondes inconnus sur lesquels on ne s’attarde pas. Et pourtant ! Chacun d’eux pourrait être le sujet d’un chapitre entier. Dans Les Maîtres-Rêveurs, le Major découvre le sceau de Beselek tatoué sur l’épaule droite de Dame Rosemayor. Et puis, plus rien. Cette porte ne sera réouverte que dans Ortho-Mentas. Dans ce même Ortho-Mentas, il est fait allusion à un peuple cannibale vivant sur Floraës. Allusion sans lendemain. J’ai pourtant des quantités de notes sur ce peuple. Peut-être un jour… Il m’arrive aussi, rarement, de céder à la tentation et de plonger vers l’inconnu.
Alors, badaboum, le scénario ?
Pas forcément. Le personnage peut parfaitement rejoindre le parcours type avant le bas de la page. Mais parfois la dérive est si importante que je suis obligé de supprimer une partie de l’histoire originale pour retomber sur mes pattes. J’ai une sensation curieuse vis-à-vis de mes dessins: l’impression de ne jamais revoir les mêmes. À des moments différents, ils ont pour moi des significations différentes. Selon son humeur, on devrait pouvoir tirer l’essence plus ou moins drolatique d’un récit soi-disant dramatique. Ou tirer vers le drame un récit plutôt humoristique. J’aime l’ambiguïté, j’essaie de la faire passer dans le comportement de mes personnages. Ils ont un caractère bien précis, mais sont agités, en même temps, par toutes les contradictions qu’on trouve chez les humains. Donc, on doit pouvoir, selon son humeur, déceler ou non toutes ces contradictions qui brisent un peu la règle du jeu. C’est pour cela aussi que je dessine des ambiances qui ne sont pas déterminées une fois pour toute, qui peuvent laisser place à des éclairages différents. Il s’est produit ainsi un phénomène curieux avec Les Léviathans. Le premier album est paru en 1982, colorié selon mes indications. Il est ressorti depuis avec des couleurs entièrement nouvelles, dues à une coloriste de grand talent. L’histoire, parée de ces nouvelles teintes, prend un autre ton. Ce n’est plus le même récit.
Préférez vous le noir et blanc ou la couleur ?
Elle est souvent nécessaire, mais pas toujours. Il existe des planches si belles qu’elles mériteraient le suprême hommage de ne pas être mises en couleur. D’ailleurs, il vaut mieux parler de quadrichromie plutôt que de couleurs. Car le noir et le blanc sont des couleurs ! Et des couleurs qui se complètent si parfaitement que les autres en deviennent souvent inutiles. Par leur contraste, elles offrent des possibilités fantastiques que trop de jeunes dédaignent. On peut ainsi suggérer des couleurs complémentaires qu’on ne voit pas mais qui s’imposent en arrière-plan. On arrive, en noir et blanc, à suggérer des impressions de coucher de soleil. Les couleurs sont là. Tellement là, qu’il n’est plus nécessaire de les montrer…

FIN

(Images extraites de la série Les Naufragés du Temps).
Retrouvez d’autres souvenirs de Paul Gillon dans BoDoï 96.

Et les autres dossiers : 1/5, 2/5, 3/5, 4/5

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