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Mana Neyestani raconte sa fuite kafkaïenne d’Iran

27 février 2012 |

L’Iranien Mana Neyestani, 39 ans, est connu de ses compatriotes pour ses dessins de presse et bandes dessinées humoristiques sur la société et ses dysfonctionnements. Une métamorphose iranienne, album autobiographique (uniquement) disponible en français, raconte la disproportion des répercussions d’un dessin en apparence inoffensif, publié dans la presse jeunesse. Sur ce dernier, un cafard anthropomorphisé prononce machinalement un mot d’origine turque. Une partie de la population azérie, une minorité opprimée du nord de l’Iran, prend la mouche en plein vol et descend dans la rue ; le gouvernement répond en ouvrant le feu sur la foule. Dépassé par les événements, l’auteur est accusé d’agitation et placé en détention. Lorsqu’il recouvre la liberté, l’exil lui apparaît comme une nécessité. Suite aux multiples refus de visa qu’il essuie de la part des ambassades, il est contraint de se rendre en Malaisie, avec l’espoir secret de pouvoir un jour gagner l’Europe. C’est là qu’il décide de raconter son histoire, digne du Procès de Kafka. En attente du statut de réfugié politique, Mana Neyestani vit à Paris.

neyestani_rsfPourriez-vous revenir sur les conditions de réalisation de cet album ?
Le besoin de le faire s’est fait sentir en Malaisie, où je suis resté plus de quatre ans, n’ayant nulle part ailleurs où aller – les pays dans lesquels on peut se rendre depuis l’Iran se comptant sur les doigts d’une main. En m’y rendant, mon objectif était de pouvoir illégalement gagner l’Europe. A cette époque, je n’avais pas d’autre choix. J’ai alors essayé de m’inscrire dans des universités européennes pour décrocher un visa d’étudiant. Je l’ai finalement obtenu pour un master en arts, alors que je n’étudiais toutefois pas vraiment. Mon visa a même été prolongé jusqu’à 2010 ; j’aurai eu le statut d’étudiant pendant trois ans, au lieu de l’année et demie initialement prévue. Cela m’a permis de me consacrer aux planches de cet album.

En raison de la proximité des gouvernements malais et iranien, vous avez contacté plusieurs organisations non-gouvernementales, en vue d’obtenir le statut de réfugié politique…
Oui, et c’est Reporters sans frontières qui m’a informé de l’existence du programme ICORN – un réseau de villes et régions du monde, accueillant au nom de la liberté d’expression les écrivains menacés dans leur pays en raison de leurs opinions politiques. Depuis l’Iran, j’avais déjà essayé à deux reprises de gagner la France via l’ambassade, sans succès.

neyestani_couvQuelle a été votre réaction au moment de l’acceptation de votre candidature ?
J’étais sous le choc. J’avais tenté ma chance auprès de nombreux pays occidentaux et toutes mes démarches avaient jusqu’alors échoué. J’étais clairement en train de perdre espoir, et ma joie fut immense lorsque j’appris que je pouvais enfin me rendre en France, sortir de la clandestinité et me remettre au travail. À ma sortie de prison, je n’avais même plus le droit d’exercer mon métier de dessinateur… Six mois après avoir fui mon pays, j’avais pourtant commencé à travailler pour des sites Internet. Au début, mes dessins n’étaient pas tellement politiques. C’est après la réélection – contestée – de Mahmoud Ahmadinejad, en 2009, qu’ils le sont devenus. En fait, je crois que l’ensemble de la société iranienne s’est considérablement politisée à ce moment-là. Les dessins publiés sur ces sites peuvent être classés en deux catégories. Les premiers sont assez imagés, dépourvus de texte, et n’ont par conséquent pas besoin de traduction [on peut les retrouver sur la page facebook de l’auteur]. Les seconds sont plus populaires, et contiennent davantage de références aux problèmes politiques et sociétaux actuels [ces derniers sont visibles sur le site www.mardomak.org, et lisibles pour qui connaît la langue].

Une fois votre Métamorphose iranienne achevée, comment avez-vous pris contact avec les éditeurs du livre, Çà et là et Arte éditions ?
Je crois que j’ai eu beaucoup de chance. Arrivé en France, j’ai commencé à envoyer des mails à des maisons d’édition, avec quelques extraits de planches traduites en anglais par un ami. Je sais bien que ce n’est pas la manière la plus efficace pour être publié ! Ceux qui m’ont répondu m’ont fait savoir que mon travail ne les intéressait pas, pour des raisons de positionnement artistique différent. Par chance, alors même que j’étais en train d’envoyer ces mails, l’un des éditeurs était en ligne. Il a immédiatement répondu que ce projet l’intéressait, et nous nous sommes rencontrés le lendemain dans un café parisien, où je lui ai remis une copie complète du livre. Peu après, nous avons été rejoints sur ce projet par Arte.

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En dépit du tragique de l’histoire que vous racontez, l’humour n’est jamais très loin.
Je n’aime pas, en effet, ce qui est purement documentaire et dépourvu de considérations artistiques. Je n’avais pas envie que mon livre devienne un simple catalogue des problèmes sociaux en Iran. Les trois bandes dessinées que j’avais précédemment publiées – non traduites en français à ce jour – présentaient une atmosphère plus fantaisiste, voire surréaliste. J’ai vraiment essayé ici de me contenir, et suis certain que mes fans iraniens pourraient être embarrassés, voire choqués, par le contenu du livre…

neyestani_namanaLe personnage principal de vos précédents ouvrages se nomme Ka, homonyme du « héros » du Procès. Votre dernier livre met en scène un cafard et parle de métamorphose…
J’ai toujours aimé Kafka, peut-être parce que je suis iranien et que j’ai expérimenté bien des situations kafkaïennes… Ces situations sont quasi-quotidiennes, pour qui vit dans un système cherchant à contrôler les individus dans leurs moindres faits et gestes, et où la marge de manœuvre de chacun est par conséquent extrêmement réduite. Nous, Iraniens, n’avons aucune capacité de nous emparer de notre destin. C’est à la fois tragique et comique.

Pourrait-on revenir sur le mot prononcé par le cafard, ce mot qui met le feu aux poudres ?
« Namana » ne veut rien dire de plus que « quoi » ? Cela ne signifie rien d’autre pour moi, même si le mot a des racines turques. Une partie de la population azérie s’est indignée du fait que ce mot sortait de la bouche d’un cafard, et est descendue dans la rue pour manifester. Mais c’était surtout, à mes yeux, un prétexte pour signifier leur colère vis-à-vis du gouvernement iranien qui les traite aussi mal.

Quelle est, plus généralement, la place des minorités ethniques en Iran ?
Je ne suis pas du tout un expert sur les questions d’ethnicité… Je passais simplement à côté d’un immeuble qui, par malchance, s’est effondré sur moi. Et je serais bien incapable de décrire la structure de l’édifice ! Ce que je peux dire, c’est que les politiques du gouvernement iranien répriment globalement tout groupe ou organisation indépendant ; il est tellement plus facile de contrôler une masse.

neyestani_cafardQuel est le rapport des artistes au pouvoir, dans un tel système ? Même si l’on sait ce qui est arrivé au réalisateur Jafar Panahi…
Il est très compliqué d’être un artiste indépendant en Iran. C’est déjà difficile d’en vivre, où que l’on soit, mais dans les pays totalitaires, c’est avec le système que cela pose problème. Il y a un grand nombre de limites infranchissables. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas l’unique fait du régime en place, mais peuvent être issues d’autres éléments contextuels, comme les traditions. À mon avis, les gens vivent dans ces pays sous une pression constante, et il leur est parfois difficile de voir les choses avec humour. Ce qui explique qu’ils puissent si facilement sortir de leurs gonds…

Il est question dans cet album de votre travail d’illustrateur jeunesse. Pourquoi avoir décidé de vous tourner vers ce public ?
J’adore travailler pour les enfants, c’est la raison principale pour laquelle je l’ai fait. La seconde est qu’en 1999 ou 2000, le mouvement réformiste iranien a été complètement éradiqué par les fondamentalistes. Le système judiciaire a été refondé, et de nombreux réformistes se sont retrouvés emprisonnés.

Comment voyez-vous l’avenir du pays ?
Il faudrait des dons de voyance pour le deviner. Deux tendances s’opposent en Iran : la modernisation et le retour à la tradition. Reste à voir lequel de ces pôles prendra finalement le dessus sur l’autre. Comme moi, la nouvelle génération aimerait que la société iranienne se modernise, mais cela prend du temps… En attendant, je continue de publier mes dessins sur Internet, et réfléchis à la prochaine aventure de M. Ka. Je verrai plus tard si ces aventures méritent d’être traduites ou non dans d’autres langues. J’ai aussi d’autres idées de livres ; l’une d’elles serait de poursuivre le récit de la Métamorphose iranienne en me focalisant sur l’année 2009, date de la réélection d’Ahmadinejad.

Propos recueillis par Pierre Gris

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Une métamorphose iranienne.
Par Maya Neyestani.
Çà et là / Arte éditions, 20 €, le 16 février 2012.

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Commentaires

  1. Laffont françoise

    Bonjour,

    Merci de transmettre mes félicitations à Mana NEYESTANI pour ses dessins et sa dernière BD  » l’araignée de Mashhad » que je viens de lire Et grâce à laquelle je viens de découvrir son talent.
    Encore bravoooooo Et merci
    MME Laffont

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