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Mark Siegel cède au chant des sirènes pour « Sailor Twain »

4 mars 2013 |

siegel_introAvec Sailor Twain, il réussit un récit trouble, poisseux, fascinant. Mark Siegel, 37 ans, y met en scène une sirène surgissant du fleuve Hudson pour envoûter les navigateurs — et plus précisément le capitaine Twain et l’armateur La Fayette. Né d’une mère française, l’auteur et éditeur américain raconte dans la langue de Molière la genèse de ce beau conte fantastique.

Sailor_Twain_160x225_001-072.inddQui est votre personnage principal, le capitaine Twain ?
Il vit le long du fleuve Hudson – que je longe tous les matins pour aller travailler à Manhattan. Il est une agrégation de voix surgies dans ma tête, à un moment chahuté de ma vie. Souvent, à la fin de la trentaine, les gens déraillent ou font face à des remous intérieurs. Dans cette situation, les petits dessins que je réalisais dans un carnet, en prenant le train quotidiennement, ont fait office de baume.

Que dessiniez-vous dans ce carnet?
Un personnage à la proue d’un bateau à vapeur, en conversation avec une sirène. Chaque jour, ils se disaient davantage de choses personnelles. Est ensuite arrivé un Français avec un grand nez, La Fayette. Ma part française – du côté de ma mère – resurgissait ! Mes deux patrimoines se parlaient : d’un côté un Twain moralisateur, très anglo-saxon, de l’autre un La Fayette goujat, véribable cliché du French lover. Mais celui qui trouve finalement la paix dans une grande histoire d’amour, c’est La Fayette. Tandis que Twain devient un être damné, déchu…

Comment, d’un exutoire psychologique, est née une histoire ?
Le dessin était alors le seul soulagement que je connaissais. J’ai voulu voir clair à travers ces choses codées sur papier, qui représentaient mes turbulences intérieures. Je me suis interrogé sur ce que signifiait être un homme, fidèle, entier et vrai. Sailor_Twain_160x225_001-072.inddPetit à petit, l’indication d’un récit a émergé : je suis sorti du journal intime au moment où le capitaine demande à la sirène de lui promettre qu’elle ne chantera pas. Soudain, l’histoire m’échappait…

Pourquoi cette sirène ?
Je crois que, dans la vie, nous sommes entourés de sirènes : l’alcool, l’argent, la drogue, les autres… Autant d’influences qui peuvent être malsaines et irrésistibles. Et qui, quand on les suit, induisent des conséquences. D’autres thématiques m’intéressaient : le développement du féminisme, que j’aborde à travers le personnage de Camomille [une romancière qui séduit La Fayette], et l’abolitionnisme, évoqué via Horacio, qui travaille dans la salle des machines et est le troisième homme à avoir entendu le chant de la sirène.

Quelles influences littéraires revendiquez-vous ?
Évidemment Mark Twain et sa Vie sur le Mississipi, mais aussi les poésies et livres de Stevenson, les oeuvres de Conrad ou Melville… On peut même déceler l’ombre de Hans Christian Andersen ! Pour m’aider, mon éditrice m’a forcée à lire Tolstoï afin de mieux structurer mon récit, Lee Child ou Stephen King pour bâtir un meilleur suspense.

Pourquoi avoir opté pour un style graphique mouvant, qui accompagne l’état d’esprit de vos personnages ?
J’ai d’abord mis du temps à me décider pour le fusain : j’avais débuté à l’encre, mais n’arrivais pas à cerner l’atmosphère de l’album. Ensuite, au fur et à mesure que je travaillais sur leur passé, mes héros ont pris corps. Il fallait pour Twain un noir et blanc stylisé, et pour La Fayette un trait plus réaliste, avec des dégradés de gris. Grâce au fusain, je pouvais obtenir deux styles différents, mais garder le même univers fait de volumes et d’ombres.

Sailor_Twain_160x225_001-072.inddCombien de temps avez-vous consacré à cet album ?
En général, je me lasse d’un projet au bout de deux ans. Là, il m’a occupé pendant neuf ans, et m’a semblé de plus en plus passionnant. Durant ce travail, j’ai changé de vie, démarrant un label [First Second] et une famille. Il me fallait pouvoir explorer le sujet, le laisser décanter. Et puis c’est une sorte de psychanalyse que j’ai ainsi réalisée. J’espère toutefois que le livre ne se résume pas à un reflet de moi-même…

Sailor_Twain_160x225_134-204.inddCette longue gestation a-t-elle changé votre vision d’éditeur ?
Elle a même changé mon appréciation de la bande dessinée. Ma vision était auparavant celle d’un esthète, je voulais de la bravoure graphique, du brio visuel, et tant pis si l’histoire était bancale. Aujourd’hui, j’ai plus d’humilité : je cherche de vrais récits, avec des héros crédibles, qui peuvent toucher le lecteur. Je perds patience avec les virtuoses du dessin qui manient des personnages creux.

Comment êtes-vous devenu auteur et éditeur de bandes dessinées ?
J’ai pris goût à la BD en France, où j’ai été lycéen. En 1982, à Angoulême, j’ai même rencontré Moebius, absolument adorable – avec lequel j’avais gardé un lointain contact et qui me donnait des conseils. Après des études d’art et d’ “écriture créative”, je me suis établi comme graphiste à Boston. J’avais des projets d’albums et de livres pour enfants, et je cherchais à percer en France et aux Etats-Unis. Heureusement, ça n’a pas marché ! Je n’étais pas mûr, absolument pas prêt. Pendant plus de dix ans, rien n’a fonctionné… En 2000, j’ai emménagé à New York et des portes ont commencé à s’ouvrir. J’ai signé mon premier contrat pour un livre, réalisé un autre avec mon épouse, et me suis installé dans le monde de l’édition. Aujourd’hui, j’édite de la BD d’auteur, littéraire et internationale. Des indépendants comme Paul Pope, des nouveaux venus comme Gene Luen Kang pour American Born Chinese, ou des Français comme Joann Sfar ou Emmanuel Guibert.

Avant d’être imprimé, Sailor Twain a été disponible gratuitement en ligne. Pourquoi ?
Le webcomics connaît une vraie révolution, et je voulais tester cela. Cela a très bien marché aux États-Unis : Oprah Winfrey [une animatrice ultra-célèbre] en a parlé et nous avons eu 800 000 lecteurs en ligne. Contre quelques centaines en France seulement…

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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Sailor Twain ou la sirène dans l’Hudson
Par Mark Siegel.
Gallimard, 25€, le 17 janvier 2013.

Images © Gallimard.

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