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« Russian Olive to Red King », l’inclassable livre des époux Immonen

31 juillet 2017 |

La plupart des artistes vous le diront : il y a d’une part les travaux que l’on rend parce qu’il faut bien vivre, et d’autre part, les œuvres qui viennent des tripes, et sont presque une question de survie. Les époux Immonen, Stuart et Kathryn, savent ce que signifie honorer les commandes d’un client/patron faisant parfois primer la quantité sur la qualité. Chez Marvel, depuis une dizaine d’années, ils enchaînent chacun de leur côté les récits de super-héros, elle comme scénariste, lui comme dessinateur. Et quand ils se retrouvent pour travailler ensemble, leur préférence va généralement à des projets autrement plus personnels et radicaux, publiés chez de plus petits éditeurs. Après le roman graphique en noir et blanc sur fond de Seconde guerre mondiale, Moving Pictures (chez Top Shelf), ils livrent cette fois avec Russian Olive to Red King (chez Boom Studios et Akiléos pour la France), un ouvrage inclassable mêlant BD, littérature et même photo.

russian_olive_to_red_king_couvDans cette oeuvre toute en pointillés et en creux, partagée en deux parties distinctes, il est question de dynamique de couple via ce qui est sans doute une rupture amoureuse qui ne dit pas vraiment son nom. Mais il est aussi question en filigrane de la nature de la collaboration artistique entre les époux Immonen, et plus généralement de la relation entre le scénariste et son dessinateur.

Première partie : quelque part en Russie, une femme, Olive, s’envole vers la Sibérie dans un frêle coucou pour une mission professionnelle de quelques jours. L’avion se crashe et Olive essaie de survivre, sans moyen de contacter son compagnon, Red. Ou bien est-ce juste une métaphore et a-t-elle simplement quitté le malheureux Red, comme celui-ci en est vite convaincu ? Les deux voix se répondent, ou plutôt s’adressent l’une à l’autre à distance, sourde à ce que l’autre raconte, parfois sur deux pages en miroir. On peut choisir de croire plutôt l’un ou l’autre, de faire confiance aux mots de Kathryn ou bien aux images de Stuart, le résultat est le même : cette histoire d’amour n’ira pas plus loin.

Et pour cause, la deuxième partie du livre, au gré d’un virage formel à 180 degrés, tourne littéralement la page de cette relation et fait sienne la mélancolie de Red. Après les belles planches chatoyantes dessinées par Stuart Immonen, place à des extraits quasi-nus de journal intime qui se concentrent cette fois sur la relation de Red avec son père décédé. C’est beau, triste et aussi un peu frustrant. Le passage de la bande dessinée à la littérature est assez brutal et l’aridité du style choisi, déconcertante. Mais ce qui compte ici, c’est ce qui n’est ni dit, ni montré, ce qui fait défaut, ce qui manque. Au lecteur de remplir les blancs.

Difficile d’imaginer, de la part des deux auteurs, contre-pied plus manifeste à la narration sérialisée ultra-directive et aux planches surchargées qui constituent leur quotidien chez Marvel. Qu’on adhère ou qu’on reste au pas de la porte de cet album, peu importe finalement. Celui-ci, les Immonen l’ont d’abord fait pour eux.

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Russian Olive to Red King.
Par Kathryn et Stuart Immonen.
Akiléos, 176 p., 19€, juin 2017.

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Commentaires

  1. Domonkos Szenes

    (annule et remplace commentaire précédent, avec ajout et corrections)

    Ouvrage magnifique, frisant la perfection formelle, impossible de n’avoir pas la gorge nouée, la larme à l’oeil, en même temps de ne pas éprouver le pur plaisir de la contemplation esthétique. Oeuvre littéraire plus que bande dessinée (pas seulement parce que les paroles d’une vieille chanson et des textes de Tchékhov et de Shakespeare accompagnent l’héroïne dans son errance et sa déshérence, la rattachant à l’humanité lointaine).

    En désaccord absolu avec la critique ci-dessus qui laisse craindre au lecteur qu’on pourrait avoir des difficultés à entrer dans un ouvrage qui est la simplicité et la limpidité mêmes, qui renvoie au vécu de quiconque un jour (c’est-à-dire de nous tous) a vécu le deuil, l’absence, le doute sur soi-même, et, par-dessus tout, « le dur désir de durer », de survivre tout de même. C’est ce que font à leur façon les deux personnages.

    Fantasme de rupture sentimentale qui remettrait en cause la réalité de ce que vit la jeune femme dans la taïga ? Je ne crois pas. Il y a l’appel téléphonique émanant sans doute d’autorités locales que reçoit l’homme, et qui fait le pont entre les deux récits parallèles, qui les relie et leur donne réalité, qui fait entrer la réalité du crash et de l’errance de la naufragée des airs, dans le naufrage de celui qui attend vainement. Le fait que ce retour qui se fait attendre, qui s’éternise, qui devient improbable, renvoie l’homme à ses craintes et ses fantasmes de rupture et d’abandon, ne signifie pas que le récit de l’accident d’avion n’a aucune réalité…

    Il faudrait également parler du chien. Autre lien entre les deux personnages (et qui rend très improbable la rupture sentimentale : il est évident que la jeune femme ne serait pas partie sans son chien). L’absence, l’incompréhension de cette absence, se lisent dans les regards du chien, ses attitudes, et renforcent les sentiments de manque. Avec au début une demande d’explication adressée par le chien à l’homme et, à la fin, une froideur et une indifférence entre les deux, chacun enfermé dans son deuil, chacun tâchant de le régler, à sa manière d’homme, à sa manière de chien. Rien n’est dit, tout est dit.

    Quant à la seconde partie, sous forme de récit, ponctué de mystérieuses petites cases « abstraites » (qui s’expliquent à la fin dans une double planche dessinée qui vient clore les deux récits), si elle peut surprendre de prime abord, devient rapidement le contrepoint de la première partie : une absence irréparable (du père) vient en miroir d’une autre absence irréparable (de la femme aimée).

    J’ai rarement lu un « album de bande dessinée » aussi abouti, beau, émouvant, et qui appelle la relecture, puis la relecture… de la même façon que le héros ne cesse de se remémorer.

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