« Anyone 40 », polar parano et expérimental
De toute évidence, Léo Quievreux ne fait pas dans la demi-mesure dès lors qu’il s’agit d’expérimenter. Après le fascinant Programme Immersion, l’auteur publie ces jours-ci un objet en forme d’ovni graphique chez l’éditeur alternatif Arbitraire.
Anyone 40 n’était au début qu’un projet graphique empruntant à la technique du cut-up. Soit des fragments aléatoires disposés de telle sorte qu’ils forment une histoire. Comme un puzzle à assembler dont la logique n’émergerait qu’a posteriori. L’éditeur évoque d’ailleurs à propos de ce projet « un hasard et un désordre maîtrisés ».
Que peut-on donc lire et voir dans Anyone 40, qui se présente comme un polar paranoïaque ?
De grandes pages où des corps ligotés et des visages bâillonnés se contorsionnent, s’unissent et se fragmentent. Un méta-monde peuplé d’humains au bord du néant et d’avatars aux allures de morts-vivants, régressant parfois jusqu’à l’animalité. Ici un fusil évoquant l’odeur de la mort, là un écran parasité, ailleurs des visages atrophiés… Montages et collages se succèdent dans un tourbillon graphique, mots, langues et associations d’idées leur donnant le change. S’agit-il d’une histoire vraie ? À quel niveau de conscience accède-t-on?
À mesure qu’il avance, le récit s’interroge sur ce qu’il produit, passant de la dévastation à l’espérance, du comment au pourquoi sans jamais livrer ses clés. Complètement déroutant, il l’est encore plus quand il marque une pause. Les séquences sont ainsi coupées par « le script », imbitable, en forme de bande-son avec dialogues, descriptions et dates. La confusion flirte avec l’hyper-lucidité, les images déformées révélant une sorte de distorsion numérique ou de bug informatique.
Alors plus que de vouloir tout comprendre, tout de suite, mieux vaut se laisser bercer par la musicalité des compositions, la force des symboles et images d’un monde en proie au chaos, où tout est source de tensions, de violence et de désir. Pour, peut-être in fine, tenter de percer à jour le sens d’une narration délicieusement éclatée. Et tant pis si vous échouez, la seule expérience de lecture vaut le détour, ne serait-ce que pour la beauté de l’objet, d’une désuète et élégante modernité. Léo Quievreux n’a pas fini de nous étonner !
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Anyone 40.
Par Léo Quiévreux.
40 pages, 22,5 cm x 31,5 cm. Impression intérieure offset, jaquette sérigraphiée 2 passages sur papier de couleur. Arbitraire, 15 €.
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