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Asaf Hanuka sans langue de bois à Tel Aviv

20 août 2012 |

hanuka_introCasquette bleue vissée au crâne et petites lunettes rondes sur le nez, Asaf Hanuka rêve de climatisation. Dans sa ville de Tel Aviv en Israël, où nous le rencontrons, il esquive les 30°C ambiants grâce à une escapade dans un café très frais. Où il raconte la genèse de K.O. à Tel Aviv, ouvrage très personnel racontant son intimité familiale (paru en France chez Steinkis, en mai dernier). Et les doutes d’un trentenaire vivant dans un pays en guerre, à la situation économique fragilisée, où la population est récemment et pour la première fois descendue manifester dans la rue. Entretien avec un homme loquace de 38 ans, enseignant et illustrateur (Rolling Stone, Time, Newsweek, The New York Times…), qui a suivi des études de dessin en France.

hanuka_1Quelle part d’autobiographie trouve-t-on dans votre livre ?
J’utilise des symboles, je raconte des choses surréalistes, mais tout est vrai. Mon but est d’exprimer mes émotions, qui sont parfois abstraites. Quand je fais du dessin de presse, j’ai beaucoup de métaphores en tête. Ma démarche a été la même pour cette bande dessinée : j’ai tenté de traduire en neuf cases ce qui m’a le plus marqué, semaine après semaine. Résultat, j’aborde mes difficultés à trouver un appartement, mes rapports avec ma femme, mon fils…

Votre héros, c’est donc vous ?
Oui. Il s’agit d’un loser classique, un mec qui a rêvé d’être un super-héros mais a compris que la vie est plus complexe que cela. Je suis quelqu’un de banal, de vraiment moyen. Comme tout le monde, j’ai des rêves, j’aime ma femme sans arriver à le lui dire, je voudrais protéger mon enfant mais je n’y arrive pas… Je raconte dans ce livre toutes ces frustrations. Mais attention, ce n’est pas uniquement déprimant ou triste. Le pire serait de ne rien ressentir : tant qu’il y a des émotions, il y a de l’espoir !

Pourquoi vous exposer ainsi ?
Je pense qu’une histoire personnelle peut avoir une résonance universelle. Pourtant, je suis en général assez discret, ça n’a pas été facile de dévoiler ma vie de cette façon… J’avais fixé une règle pour que ça marche : toujours demander l’autorisation de parler d’eux à ma femme, à mes amis. De toute façon, aujourd’hui la vie privée est devenue la matière première d’une certaine narration — on le voit via la téléréalité ou Facebook. C’est intéressant à condition que mon quotidien reste un prétexte pour raconter autre chose, servir de miroir à d’autres.

hanuka_2Vous abordez la réalité des jeunes Israéliens, qui se sont récemment indignés contre le coût galopant de la vie en manifestant en nombre dans les rues…
Habituellement, je m’arrange pour rester à distance des choses, quitte à me montrer un peu cynique. Mais, cette fois, après l’avoir trouvé sale et ridicule, je me suis laissé happer par ce mouvement : les tentes des manifestants étaient installées sous les fenêtres de mon atelier, les gens faisaient la fête, du bruit… J’ai cru qu’on pouvait enfin changer les choses, les améliorer. Figurez-vous qu’avec ma femme, il y a deux ans, on a voulu acheter un appartement. Alors que j’ai toujours tout fait comme il faut – des études, deux ans dans l’armée, puis je suis devenu prof, dessinateur à succès, je paye même des impôts –, je ne pouvais pas me payer un logement décent dans ma propre ville ! C’est que le système économique ne tourne pas rond… Voilà qui est difficile à avaler pour une génération qui a grandi en regardant Beverly Hills et Friends, et rêve d’un bel appartement où l’on fait des blagues toutes les trois minutes… En réalité, on vit plus dans un film d’horreur tourné dans un pays bipolaire, plutôt que dans un sitcom ! Et puis, malheureusement, la révolution attendue n’a pas eu lieu. Mais la société israélienne me semble aujourd’hui plus solidaire grâce à ce mouvement.

hanuka_4Comment y avez-vous participé ?
Je suis allé dessiner une série de portraits des Indignés pendant les manifestations. C’était pour moi une manière de déchiffrer, de décoder ce groupe contestataire. J’étais d’accord avec leurs revendications, mais je pensais qu’ils n’allaient rien changer. Aujourd’hui, je crois davantage à la force du groupe. Même si le mouvement est quasi terminé, les gens me semblent plus empathiques. Les très riches sont honteux de l’être, montrent moins leurs richesses qu’avant. Comme si certaines valeurs s’étaient inversées, que l’ultracapitalisme n’était plus ultravalorisé.

Pour K.O. à Tel Aviv, de quelle façon avez-vous travaillé ?
J’ai dessiné une planche par semaine, de façon chronologique – ce sont deux années de travail qui sont compilées dans cet album. La date de rendu du dessin décide de ma technique : je fais ce que je peux dans le temps imparti, et ça fonctionne toujours. Je cherche à être assez minimaliste, à utiliser moins de couleurs, de traits. Dépenser moins d’énergie me permet de survivre : je gagne ma vie avec l’illustration et le dessin de presse, pas avec la bande dessinée… Avant, je travaillais sur papier et à l’aquarelle mais, un jour que je manquais de matériel et que mon magasin habituel était fermé, je suis passé à l’ordinateur, que je n’ai plus quitté depuis.

Quel est votre parcours ?
Je suis né en banlieue de Tel Aviv, à côté d’une autoroute, d’un père ingénieur dans l’aéronautique et d’une mère assistante sociale. Nous avions la télé en noir et blanc mais, heureusement, une tante habitant aux États-Unis nous envoyait, à mon frère jumeau Tomer et moi, des épisodes des X-Men. C’est ainsi que nous avons tous deux commencé à dessiner. Nos parents n’encourageaient pas ce penchant, ils avaient peur qu’on finissent drogués dans la rue… Mais nous avons insisté ! Après l’armée, Tomer est parti vivre en Amérique – où il vit toujours, et fait de l’illustration et de la BD. De mon côté, après une rencontre stimulante avec Michel Kichka [l’auteur de Deuxième génération], j’ai suivi des études de dessin à l’école Émile-Cohl, à Lyon. Nous avions besoin de nous séparer pour forger distinctement nos personnalités.

hanuka_7Qu’avez-vous retiré de cette expérience française ?
Je savais que Moebius me bouleversait, et que des artistes tels que Boucq, Juillard, Cabanes, Munoz ou Bilal m’avaient ouvert l’esprit. Leur travail était très différent de celui des auteurs de l’industrie comics américaine. J’avais envie de trouver cette “french touch”, d’apprendre à dessiner de manière réaliste, simplifiée et personnelle. Mais quand j’ai publié mon premier album [Carton jaune ! avec Didier Daeninckx], mon éditeur m’a dit que mon style était semi-réaliste. J’étais très déçu… J’ai compris que je ne dessinerais jamais comme un Français, et je suis repart en Israël. J’avais 25 ans, et j’avais décidé d’arrêter le dessin pour devenir webdesigner.

Comment êtes-vous revenu à la bande dessinée ?
Le soir, je continuais à dessiner pour le plaisir. Une adaptation du roman de mon ami Etgar Keret [Pizzeria Kamikaze] m’a redonné le goût de la BD. C’était plus fort que moi ! J’ai aussi participé au long-métrage animé Valse avec Bachir d’Ari Folman, qui a eu le courage de briser le tabou concernant les massacres de Sabra et Chatila.

Vous avez été capable de refuser une commande du prestigieux New Yorker pour vous occuper de votre fils…
Je m’en suis mordu les doigts pendant plusieurs mois, d’autant qu’on ne m’a évidemment jamais rappelé ensuite… Il se trouve que je fais ce travail pour devenir Art Spiegelman [l’un des collaborateurs réguliers du magazine, et l’époux de sa directrice artistique, Françoise Mouly]. J’ai eu la chance de ma vie, et je l’ai ratée ! Mais à ce moment-là, il m’était impossible d’accepter, je sentais qu’il était plus juste que je consacre du temps à mon enfant.

hanuka_6Quels sont vos projets ?
Je travaille avec mon frère sur une série télé animée pour adultes. Avec lui toujours, et notre ami Boaz Lavie au scénario, je prépare un grand album pour Dargaud. C’est un peu mon Everest : il y aura de l’aventure, de l’action… C’est l’histoire vraie de deux jumeaux birmans de huit ans qui ont battu l’armée, et dont les gens pensaient qu’ils avaient des super-pouvoirs !

Propos recueillis par Laurence Le Saux

 

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K.O. à Tel Aviv
Par Asaf Hanuka.
Steinkis, 14,95€, mai 2012.

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Images © Steinkis.

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Commentaires

  1. luxsword

    Si je peux me permettre de chipoter, sur les liens fnac et amazon, ils mettent qu’il est né en 1974, ce qui ne lui fait pas 34 ans, mais 38, me semble-t-il.

    Entretien très intéressant, par ailleurs.

  2. luxsword

    Si je peux me permettre de chipoter, sur les liens fnac et amazon, ils mettent qu’il est né en 1974, ce qui ne lui fait pas 34 ans, mais 38, me semble-t-il.

    Entretien très intéressant, par ailleurs.

  3. @luxsword : Bonjour, merci pour votre vigilance, nous corrigeons !

  4. @luxsword : Bonjour, merci pour votre vigilance, nous corrigeons !

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