Hans Fallada, écrivain allemand torturé et instable, a vécu plusieurs séjours en prison et en hôpital psychiatrique. En cause notamment, son addiction à l’alcool, et ses accès de violence. En sont ressortis plusieurs textes, dont Le Buveur, qui met en scène un commerçant paumé et plein de rancoeur, qui abandonne ses affaires et sa femme pour la bouteille. L’auteur allemand Jakob Hinrichs entreprend ici de mêler la biographie de Fallada avec ses oeuvres, dans un tourbillon narratif et graphique vertigineux.

En effet, les allers-retours entre le Fallada emprisonné – pour avoir tiré sur son épouse – et son héros de papier errant en quête de schnaps révèlent une construction complexe et audacieuse, à laquelle viennent se greffer des éléments annexes tirés de la vie ou de l’oeuvre de l’auteur. L’ensemble forme un puzzle littéraire étonnant, car on ne sait plus – sur la fin, quand Hinrichs nous fait pénétrer loin dans le cerveau perturbé de Fallada – où est la limite entre la fiction et la réalité. C’est la grande force de cet ouvrage, et parfois peut-être son défaut, car à trop brouiller les pistes il en devient un brin hermétique. Mais par un trait épais et mouvant, qui évoque par moments la gravure, et une mise en couleurs thématisée par séquence ou ambiance (rouge et bleu, ou orangé et rose, couleurs franches et nombreuses VS monochrome rouge), Hinrichs maintient l’attention et la tension jusqu’au bout d’un projet atypique et ambitieux.