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Les + du Blog : « LA NOUVELLE FRONTIERE »

8 décembre 2006 |

L’ETOFFE DES SUPER-HEROS

Qu’y a-t-il de commun entre une île bourrée de ptérodactyles qui boulottent gaillardement les super commandos envoyés par l’oncle Sam et un môme se glissant timidement dans le célèbre boui-boui des pilotes d’essai du mythique film L’étoffe des héros ?
Que peuvent partager un pilote de chasse objecteur de conscience et un flic taciturne doté du pouvoir de double vue ?
Pourquoi l’espérance de vie d’un noir du Sud osant défier l’hydre à trois K ne peut-elle dépasser quelques mois ?
Qu’est-ce qui pousse les hommes à se renier et à pactiser ou au contraire à s’affirmer et à se battre ?
C’est à ces questions que tente de répondre La nouvelle frontière, une trilogie à marquer de trois étoiles de première grandeur. Nous sommes au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Alors que les Anglais se préparent à renvoyer Churchill qui leur a épargné une invasion allemande, alors que les Français se préparent à renvoyer de Gaulle qui a sauvé un petit bout de leur honneur, les Américains

se séparent de leurs super-héros. Finis les costumés rendant la justice dans leur coin. La Maison-Blanche ne veut plus d’électrons libres incontrôlables. Seuls les héros acceptant la tutelle présidentielle pourront continuer leur action, bride au cou et petit doigt sur le revers de la culotte. Certains acceptent, tels Superman et Wonder Woman. D’autres refusent et meurent. Seul le teigneux Batman est assez malin pour défier Washington et continuer à faire la loi à Gotham. Mais Batman est l’exception. L’âge d’or des super héros de DC comics est terminé.
Ce résumé de fiction n’est que la transposition d’une situation bien réelle alors dans le monde du comics. Effectivement, au milieu du siècle dernier, les histoires de superhéros perdent la plus grande partie de leur public. Leurs ennemis principaux, Hitler et Hiro-Hito sont vaincus et la télé leur taille des croupières. Acculés, les éditeurs se tournent vers la violence, le sexe et l’horreur. La faute. Attaqués par des mouvements rigoristes -déjà-, ils acceptent en 1954 un deal de bonne conduite, le comics code, qui fera basculer le genre dans un coma prolongé. Le salut viendra des années plus tard d’un nouveau regard, de nouveaux héros. Se lèvera alors ce que l’on appellera l’âge d’argent de cette industrie du rêve made in America.
C’est ce renouveau que raconte La nouvelle frontière. Une succession d’histoires courtes nous présente d’abord des personnages inconnus ou des héros célèbres n’ayant aucun lien entre eux. Chaque histoire est suffisamment dramatique pour obliger le lecteur à poursuivre, même s’il ne discerne pas forcément où l’entraîne Cooke.
Car le scénariste et dessinateur de cette trilogie s’est lancé un défi risqué : passionner à la fois les vieux routiers du comic et les néophytes. Faire que, lorsque apparaît un jeune garçon nommé Hal Jordan, les premiers sourient de plaisir tandis que les seconds glissent sur ce nom inconnu, captivés qu’ils sont par l’humanité et la nostalgie qu’exhale l’histoire.
Au fil des séquences, les hommes et les femmes évoluent, se retrouvant les uns après les autres dans la peau des héros de l’âge d’argent. Les pièces du puzzle s’adaptent, composant un nouveau monde prêt à accueillir les nouveaux héros. Tous de chair et de sang, de désir et de peur. Car, pour Cooke, pas d’hésitation : « Ce n’est pas sa force mais ses valeurs et son sens de la compassion qui font de Superman un personnage hors du commun. » Il ne restera plus à l’auteur qu’à unir ces êtres magiques dans un combat commun contre un étranger menaçant. Il n’y a pas de meilleur ciment…
Costards ou chemisettes, gros cigares ou cigarettes, voitures de sport ou avions à réaction, Cooke restitue l’Amérique de toutes les nostalgies avec un talent sidérant. La ligne est claire mais le dessin ne sacrifie que peu à la rondeur de mise chez Disney. Les hommes ont de vraies gueules malgré une économie de traits bluffante. Le lecteur sait bien que cette mythologie américaine qui fit des ravages dans une Europe se relevant de sous la botte nazie n’est sans doute pas plus réelle que l’histoire de superhéros concoctée par Cooke. Qu’importe, la nostalgie est encore ce qu’elle était.
Autre défi tenu haut la main par Cooke : ne pas présenter un monde binaire peuplé soit de ganaches militaires bornées, soit d’humanistes pacifistes uniques détenteurs de toute vérité. Cooke croit d’abord au courage, qui peut être de se battre mais aussi de refuser de se battre. A l’honnêteté. Au sacrifice. Des valeurs qu’on retrouve dans le texte qui clôture la trilogie :
« Aujourd’hui, c’est de courage dont nous avons besoin, non de suffisance. Il nous faut des leaders forts, pas des bonimenteurs. Notre pays doit choisir entre intérêt public et confort privé, entre grandeur et déclin national, entre l’air frais du progrès et l’atmosphère fétide de la « normalité », entre un dévouement convaincu et une médiocrité rampante. L’humanité entière attend notre décision. Nous ne pouvons trahir leur confiance. Nous ne risquons rien à essayer. »
Ces mots ne sont pas de Darwyn Cooke mais de John Kennedy. Le nouveau président des Etats-Unis avait tort. A ce beau jeu on risque tout simplement la mort. Il n’y avait pas de superhéros dans le ciel de Dallas (Texas), le 22 novembre 1963 à 12h30.

JPF

La Nouvelle Frontière 1, 2, 3 par Darwyn Cooke, Panini Comics (12,95 euros).
Images © 2006-2006 Panini FRance.
* C’est plutôt rare dans le comic : Darwyn Cooke aime travailler en solo. Après La nouvelle frontière, six épisodes de 64 planches chacune et son one-shot Catwoman, le grand braquage, après un Batman The Spirit en collaboration avec le scénariste Jeph Loeb, il signera la nouvelle série régulière The Spirit, le célèbre héros de l’immense Will Eisner. Catwoman et Serge Le Tendre s’en lèchent déjà les babines.

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