Voilà un sujet délicat, encore sensible dans la mémoire française. Les Pieds-noirs, leur départ forcé et souvent violent d’une Algérie ayant conquis son indépendance. L’adieu à une terre qui les avait vu naître et grandir, leur arrivée dans une France froide et hostile. Et puis la tentation de la terreur, les attentats de l’OAS. Et enfin le racisme, la haine envers ces arabes qui étaient auparavant leurs frères…

Habitué des auto-fictions nostalgiques et drôles (Pattes d’eph et col roulé) ou de francs délires (Nestor & Polux), Fred Neidhardt opte ici pour davantage de sobriété pour explorer un thème si douloureux, et franchement casse-gueule. On y suit son alter-ego Daniel, débarquant chez sa famille de Pieds-noirs de Marseille et se prenant leur ressentiment et leur racisme en pleine face: le rejet d’un fils qui veut épouser une Kabyle, la lecture assidue de Minute et les lettres à Le Pen, les souvenirs d’actions de l’OAS… Tout un tourbillon confus de sentiments contradictoires, qui pourrit les relations familiales jusqu’à un point de non-retour. Ces moments-là, avec son trait mi-animalier fluide et chaleureux, Fred Neidhardt les saisit joliment, faisant naître d’un coup de pinceau et d’un courte phrase des émotions sincères et un vrai trouble. La construction narrative globale, au gré des visites de Daniel, est un peu moins convaincante, atténuant la tension par une dramaturgie un peu molle. À trop vouloir ancrer son récit dans un décor et des personnages hautement réalistes, l’auteur ne parvient pas à le hisser au niveau d’une oeuvre coup de poing. Néanmoins, l’album se tient de bout en bout, par son authenticité justement, et sa belle sincérité.