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Ludovic Debeurme ou le ravissement trouble de ‘Trois fils’

10 février 2014 |

Trois enfants étranges malmènent leur père. Est-ce un juste retour des choses ? Dans le premier tome (sur trois) de Trois fils, Ludovic Debeurme (Lucille, Le Lac aux Vélies, Renée) conte une histoire belle et inquiétante. L’artiste oublie le noir et blanc dont il pare habituellement ses pages, ose des couleurs éclatantes, des traits de pinceaux organiques. Il analyse ce nouveau style et donne quelques clés pour comprendre son oeuvre, très personnelle.

debeurme_portraitD’où Trois fils est-il né ?

D’une volonté de renouvellement. Avant de m’y atteler, j’ai fait de la peinture pendant un an : j’exposais dans des galeries d’art contemporain, dans un circuit très éloigné de la bande dessinée. Cela m’a amené à me poser des questions plastiques, picturales, notamment sur le geste, la trace qu’on laisse sur la toile ou le papier… J’ai commencé par la peinture à l’huile, puis j’ai eu envie d’épurer la matière. Je suis arrivé à la gouache, pour simplifier les formes, avec de grands aplats. Sans doute était-ce une réaction à mon passé de dessinateur, à mon utilisation du trait, des hachures. Après cette année de peinture, j’ai eu envie de me remettre à la BD, j’avais envie de raconter une histoire. Car le côté muet de la peinture me pose problème. A la différence de mon père, artiste peintre, j’ai besoin d’utiliser les mots, les phrases viennent taper à la porte de ma conscience et je dois les évacuer. Pour autant, je ne pratique pas une bande dessinée bavarde, j’aime les allers-retours entre le texte et l’image.

Pourquoi avoir adopté la forme d’un conte ?

Après Renée, j’avais envie d’une plus grande liberté graphique, d’un récit moins codifié. Dans ce nouveau livre, je tire vers le fantasme, l’imaginaire, le fantastique… Je suis toujours contrarié toutefois, quand on me renvoie l’image d’un artiste déconnecté de la réalité. Je pense parler du réel, je m’intéresse à des questions très humaines, parfois politiques. Je ne manie pas l’étrange pour l’étrange, ou le trash pour le trash. Trois fils est à la fois un conte, un polar, un récit sociétal… L’histoire se déroule dans un pays en guerre, avec un camp de réfugiés, une zone de transit dans une forêt… Cela me permet d’évoquer tout ce qui touche à l’inconscient, de donner à sentir et ressentir avec une économie de moyens.

debeurme_1Vous abordez notamment la cruauté d’enfants abandonnés envers leur géniteur…

Le moteur de ce premier tome est le sentiment d’injustice que l’on peut ressentir en tant qu’enfant, quand on ne vous a pas donné suffisamment d’amour. Je traite aussi de l’état d’esprit de celui qui créer l’injustice, en l’occurrence le père, avec sa fragilité, son parcours qui le rend incapable d’appréhender ses responsabilités…

Le rapport au père vous intéresse particulièrement ?

Le mien est un artiste peintre qui adore sa liberté. Au moment où j’allais moi-même avoir un enfant, il m’a offert une gravure de la fin du XIXe siècle représentant un homme portant un enfant dans ses bras, sans savoir qu’en faire. C’était une sorte de violence innocente envers moi… Il a toujours été hyper dur vis-à-vis de mon travail, j’ai attendu son approbation pendant des années. Elle n’est venue que très récemment, il y a quelques mois, lors d’une exposition de mes oeuvres à la galerie Martel à Paris. Mon père est barbu, je le suis aussi, et je dessine beaucoup de barbus, ce n’est pas un hasard… Je les vois comme des ermites, des SDF qui vivent à côté des autres.

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Quid des trois fils qui donnent son titre au livre ?

Avant moi, mon père a eu trois fils… Ces personnages peuvent aussi être vus comme la même facette d’un seul héros.

debeurme_3Pourquoi user de couleurs éclatantes ?

Je m’ennuyais en noir et blanc, j’avais besoin d’un changement complet d’environnement pour mettre ma pensée à neuf, sortir du détail. Je cherchais à avoir un plaisir du geste, organique, physique. Quoi de plus jouissif et sensuel que d’appliquer la couleur? C’est aussi une façon de conjurer le malaise que l’on peut ressentir en suivant le récit. Certains m’ont dit que c’était le pire mes bouquins: l’enfer en couleurs !

Quels sont vos projets ?

Je viens de publier un roman, Ocean Park, chez Alma éditeur. L’histoire de deux enfants abandonnés, dont l’un devient un ermite psychotique, et l’autre, plus jeune et argenté, est érotomane. Ces deux personnages se retrouvent quand leur père les appelle de l’autre bout du monde : leur mère est en train de mourir… Je prépare aussi la suite de Trois fils, prévu en trois tomes — le découpage de la deuxième partie est fait. Je vais aussi intégrer la compagnie Hey !, qui conçoit une exposition sur le tatouage pour le Quai Branly. J’y serai dessinateur performer pendant deux ans, chaque mois. J’aimerais aussi mélanger dessin et musique, organiser des lectures musicales !

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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Trois fils #1
Par Ludovic Debeurme.
Cornélius, 22,50€, le 17 octobre 2013.

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Images © Cornélius / Renaud Monfourny.

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