Mobutu dans l’espace
Cinquante-trois secondes tirées d’un documentaire fleuve de trois heures sur le dictateur zaïrois Mobutu. C’est ce qui déclenche l’hilarité du scénariste, Aurélien Ducoudray, et suscite l’envie du récit : un scientifique occidental et le président Mobutu, en habit de généralissime, assistent au lancement d’une fusée… qui décrit une belle courbe descendante avant de se crasher. Une vidéo rare pour un projet mystérieux. Comment en est-on arrivé là ? L’auteur de The Grocery et La Faute aux Chinois donne sa version !
1978. À l’aéroport de Leopoldville, un jeune ingénieur allemand de l’OTRAG (Orbital Transport und Rajeten AG), Manfred Sternschnuppe, atterrit. Son objectif ? Développer un programme qui doit faire du Zaïre la première puissance spatiale africaine, concurrençant ainsi les grandes puissances de l’époque, États-Unis et URSS, en tête.
Les auteurs livrent d’abord une aventure rocambolesque, comme un anti-Tintin au Congo. Le « blanc » n’est pas ici en position de force, soumis aux délires d’un chef suprême dopé au culte de la personnalité. Anti-Objectif Lune aussi. Le programme spatial est un échec. L’ingénu est aux prises avec un monde post-colonial en manque de repères, ravagé par les méfaits des colonisateurs, qui ont tout fait ici sauf développer les idéaux démocratiques. Leur présente se fait encore bien sentir présent : les occidentaux pèsent dans les relations économiques d’un pays aux ressources convoitées. Le livre se double ainsi d’une critique du colonialisme et de ses conséquences.
C’est aussi un portrait du dictateur, reconnaissable à son couvre-chef en peau de léopard, dans toute sa folie et ses décisions ubuesques, sans jamais oublier sa clairvoyance avisée envers les anciens colonisateurs dont il n’est jamais dupe. Il fraye avec les grandes puissances de ce monde, avec lesquelles il compte rivaliser grâce au programme spatial, livrant au passage anecdotes et points de vue sur leurs dirigeants. On aurait pu imaginer parfois un traitement moins badin, à l’image, par exemple du film Le Dernier Roi d’Écosse, narrant les relations d’un occidental avec le dictateur ougandais Amin Dada ; une rupture plus franche entre les moments burlesques et ceux terrifiants de cet état totalitaire. Car Manfred est un anti-Tintin dans ses relations sociales, pas dans sa candeur dont il ne se départit jamais malgré les situations. Mais le trait du crayon d’Eddy Vaccaro (Championzé, déjà avec Ducoudray), simple, rapide, vif et tout en mouvements, sans débauche d’effets graphiques et de couleurs, balaye d’un revers les quelques critiques car, finalement, le ton est léger mais le message est clair : c’est une dictature, et des plus violentes.
On est ahuri, étonné, abasourdi par cette histoire incroyable tombée, comme le démontre l’incipit, dans l’oubli. Ouvrage donc salvateur qui, derrière l’humour, rappelle la folie d’un homme.
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