Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image

BoDoï, explorateur de bandes dessinées – Infos BD, comics, mangas | April 25, 2024















Retour en haut de page

Haut de page

No Comments

« Où » et « Isles » : le muet, entre identité et merveilleux

10 décembre 2018 |

Rares sont les éditeurs à publier des récits totalement muets. Et pour cause, ils se vendent souvent mal (sauf en BD jeunesse). Publier un récit muet, c’est souvent prendre le risque de l’échec commercial assuré. On les retrouve donc chez les petits éditeurs, avec peu de moyens mais qui croient dur comme fer à l’audace formelle et au seul pouvoir de la narration par l’image. D’ailleurs, pour certains spécialistes, ce serait là la vraie définition du 9e art : « Une bande dessinée muette est une bande dessinée ne comprenant aucun texte récitatif et/ou de dialogue, intervenant directement dans la narration” (site Du9, Jessie Bi). Avec un moment clé, Arzach (1975) de Mœbius, une vraie claque au moment de sa parution. Par son exigence, la narration muette est aujourd’hui “un discours sur la bande dessinée autant qu’une déclaration d’amour au médium”. L’idée aussi que choisir ce mode de narration est intimement « liée à l’idée d’une revendication artistique”.

Deux récits publiés récemment, Isles, La Grande Odyssée (2024) et ., de Sébastien Lumineau (L’Association), révèlent, chacun à leur manière, toute la puissance du récit muet mais aussi sa difficile maîtrise, qui peut émerveiller par son sens de l’intrigue ou placer le lecteur face à un miroir.

isles_couv« Isles » : s’immerger dans la grande aventure

Isles, La Grande Odyssée, signé Jérémy Perrodeau (Crépuscule) retrouve une seconde jeunesse après une première édition à 400 exemplaires en 2013 chez FP&CF. Cette aventure a été, apprend-t-on, la carte de visite de l’auteur pour publier ses albums chez 2024. Isles est sans doute le parfait exemple de ce que la BD muette peut produire de meilleur. Une prouesse d’ailleurs pour l’auteur qui signait là son premier album ! Par son seul dessin, un trait fin balançant entre l’épure des corps et la densité des décors, Jérémy Perrodeau tisse une aventure impossible à lâcher. Les fans de Lost se rappelleront au bon souvenir de la série culte. Car il est question de trois personnages débarquant sur une île à la végétation dense, que l’on devine moite. Et évoluent dans un monde “intense et violent, traversant des paysages à la beauté vénéneuse”.

Isles, récit choral, montre ces trois personnages confrontés à des phénomènes étranges et des obstacles mais, on le sent, en quête aussi d’un Graal et d’une cause qui les dépasse. L’impression est étrange : on a le sentiment d’avoir lu cent fois cette histoire sans l’avoir tout à fait lue. Et pour cause, Jérémy Perrodeau fraie avec tout un imaginaire : celui de l’aventure, de la découverte scientifique, des mondes hostiles. Pas loin d’Indiana Jones, de Lost ou de Werner Herzog dans Aguirre ou la colère de Dieu, sans oublier l’inévitable Robinson Crusoé. Et le clou, c’est quand la science laisse place à l’émotion dans un final éblouissant. Il faut juste rester concentré, arrivé à la moitié du livre, pour ne pas perdre le fil. Mais l’intérêt est aussi là, suivre les pas de ces trois personnages pour multiplier les angles, les regards et les points de vue au gré d’une temporalité éclatée. La narration muette ici, plus que le format classique, autorise et engage à de multiples relectures. De l’action, de l’émotion, un peu de science pour une quête triomphale, nourrie de périls et de luttes, où l’on apprend les limites et les contraintes de l’univers. Intense, étonnant et même fascinant. Une expérience à vivre en somme, pour succomber au vertige du dépaysement.

Isles, La Grande Odyssée. Par Jérémy Perrodeau. Éditions 2024,224 p., 18 €.

isles_image

 

ou-couv« Où. » : accepter (ou non) de se perdre

L’autre album pas totalement muet – on y lit quelques rares bulles – Où., signé Sébastien Lumineau (Des Berniques, Les Escalopes, Fido face à son destin), laisse plus perplexe même s’il faut accepter de ne pas tout comprendre, tout de suite ou jamais d’ailleurs. Et c’est là aussi son intérêt. Nous sommes en 537 218, un homme nu est lacéré par des cordes qui le retiennent à un arbre. Nous sommes dans une forêt, près d’un fleuve, sans doute en Amérique du Sud. Plus tard, le même homme, semble-t-il, se dispute avec sa compagne. Il erre ensuite, bâtit, s’interroge, hagard, étranger ou spectateur de son sort. Il joue à cache cache, observe ou se pose en victime du sort…

Peu de repères ici, beaucoup de questions. Les réponses ? C’est au lecteur de formuler les siennes. On aimerait parfois être davantage guidé, question d’habitude. La curiosité ici, suspendu à l’absence de sens, tient le lecteur en haleine. Mais il faut s’accrocher si les réponses ne viennent pas. Volontiers onirique, brouille donc nos repères et brosse une intimité faite de curiosité et de crainte. D’incompréhensions aussi et de détachement. Qui invite à l’introspection distanciée dans ce qui semble une quête identitaire d’une absurdité féconde. Comme la pluie et son éternel retour.

Où. Par Sébastien Lumineau. L’Association, 232 p., 24 €.

ou-image

Publiez un commentaire