Dès les premières pages, les dents grincent méchamment. Transperçant de part en part les limites de la bienséance parentale, la suite de strips échafaudée par Paul B. Rainey nous raconte le quotidien absurde de deux parents qui, manifestement, n’auraient jamais dû l’être. D’un côté nous avons la mère, alcoolique et dépressive, qui envoie valser à peu près tout le monde. De l’autre, le père qui ne connait pas le prénom de son fils et exerce un métier auquel il ne connait rien. Le chaos est orchestré avec un flegme abasourdissant par l’auteur britannique et l’humour n’en est que plus corrosif.

Mais les strips se suivent et creusent de plus en plus profond dans la misère affective. Le malaise grandit et prend bientôt toute la place. Le dessin élégant et sobre n’améliore pas l’affaire tant il crée le décalage entre la forme et le fond. Paul B. Rainey continue pourtant d’ajouter du sel sur la plaie en multipliant les coups de canifs à la morale, sans parler de la relation entre les parents qui éclate de toutes parts. Qui sont ces gens ? Comment est-il possible de laisser tomber la vie à ce point, la voir se crasher par terre et de ne rien faire d’autre que de l’écraser à coup de talons ensuite ?

À la mi-temps de la bande dessinée, les héros basculent sans prévenir dans un tout nouvel environnement. Mieux, ils ne se sont apparemment jamais croisés, si ce n’est dans cette vie étrange qui vient de nous être contée mais dont personne d’autre qu’eux ne semble avoir entendu parler. Et de strips purement transgressifs, nous basculons vers tout autre chose, une histoire vertigineuse et tragique, dans laquelle l’humour reste présent mais plus doux, plus subtil. Paul B. Rainey livre là une bande dessinée qui ne ressemble à rien d’autre, dont l’amoncellement de formes courtes masque en réalité un récit d’une intelligence rare. Une manière brillante de nous parler de cette angoisse universelle : la peur de rater sa vie.