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BoDoï, explorateur de bandes dessinées – Infos BD, comics, mangas | March 28, 2024















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Dash Shaw, premiers pas d’un jeune prodige américain

2 janvier 2009 |

dash_shaw_intro.jpgÀ seulement 25 ans, l’Américain Dash Shaw a créé la sensation cette année avec l’imposante bande dessinée Bottomless Belly Button, sortie en novembre en France. Il y met en scène la famille Loony, dont les parents vieillissants sont en plein divorce. Dans ce pavé de plus de 700 pages, l’auteur décrit les relations familiales de façon réaliste, avec moult innovations narratives et graphiques. Il parvient à jouer à merveille sur les sensations et les émotions. Dash Shaw nous raconte son parcours et la genèse de cet étonnant projet.

Depuis combien de temps créez-vous des bandes dessinées ?
Avant même de savoir lire, je dessinais des BD. Mon père, qui était un lecteur de comics, écrivait les textes pour moi ; il dessinait aussi un petit peu. Lui et ma mère, qui animait un groupe de thérapie par le théâtre pour les enfants, m’ont beaucoup encouragé à dessiner.bbb_froid.jpg

Par quoi étiez-vous alors inspiré ?
J’aimais les jeux de plateau et les bandes dessinées, et j’essayais d’en fabriquer moi-même. Enfant, je lisais surtout Les Tortues Ninja. Plus tard, au collège, je me suis intéressé au manga, qui déferlait sur les États-Unis. J’ai pas mal fréquenté les festivals d’animation japonaise autour de Richmond en Virginie, où je vivais. Je lisais aussi les vieux comics underground et les magazines Mad de mon père. Mais c’est surtout le manga qui me fascinait. Aujourd’hui, mon travail ne ressemble pas vraiment à du manga, mais il en reprend les mécanismes narratifs et le rythme.

Vous souvenez-vous de votre toute première BD ?
Je crois qu’il s’agissait d’une adaptation des Dents de la mer, avec des textes écrits par mon père. Je l’ai toujours et je la trouve plutôt bonne…

Quelle formation avez-vous suivie ?
J’ai étudié à la School of visual arts de Manhattan. J’y ai eu d’excellents professeurs, comme David Mazzucchelli [La Cité de verre d’après Paul Auster] ou Gary Panter [créateur du personnage de Jimbo, il est considéré comme un des pères du comics punk], qui font partie de mes auteurs préférés. Keith Mayerson, dont j’avais adoré Horror Hospital Unplugged, a également été mon professeur. bbb_loony.jpgJ’ai surtout suivi des cours de dessin anatomique et de peinture. Je me suis passionné pour le cours de James McMullan, auteur de l’ouvrage High focus drawing. Une fois diplômé, j’ai aussi travaillé comme modèle pour des cours de dessins. Le dessin anatomique est très important pour moi et j’essaye actuellement d’en introduire plus dans mes BD.

Comment est né Bottomless Belly Button ?
J’ai commencé à travailler sur BBB pendant mes études d’art. Je souhaitais réaliser une histoire dans la quelle les personnages seraient les véritables acteurs de l’histoire, contrairement à ma précédente BD, The Mother’s mouth [à paraître chez Çà et là en mai 2009], dans laquelle les personnages se laissaient porter par les événements. Le choix d’une réunion de famille s’est imposé comme un prétexte pour rassembler de nombreux protagonistes au même endroit. Je souhaitais également que chacun d’eux soit dessiné dans un style différent, comme s’il se dessinait lui-même. Et je voulais qu’au final leurs histoires se juxtaposent et se chevauchent entre elles. Toutefois, malgré cette genèse très conceptuelle, BBB reste une histoire fortement émotionnelle.

Que signifie ce titre (Bottomless Belly Button peut être traduit par « nombril sans fond ») ?
En anglais, il est comme le livre, long et rythmé (du moins je l’espère). Et puis c’est drôle à dire ! Le mot « Bottomless » fait un peu peur, mais le terme « Belly Button » est plutôt mignon…

Vous êtes-vous inspiré de votre propre famille pour créer les Loony ?
Pas vraiment, même si je m’inspire de la vie quotidienne pour écrire mes scénarios. Je prends des notes, que j’appelle des « séquences d’après nature » – comme les « dessins d’après nature » que les artistes peuvent réaliser. Mon travail n’est pas à proprement parler autobiographique, mais simplement issu d’observations. Un jour, je parlais avec un ami et des mouches se sont mises à voler autour de nous. Nous nous sommes interrompus pour les écraser. Ce moment a créé une atmosphère particulière et insufflé un rythme étrange à notre conversation. Je me suis servi de ce souvenir dans BBB pour une séquence entre Dennis et son père, devant la maison.

bbb_bougie.jpgLes détails de la vie quotidienne ont une grande importance dans votre livre…
Quand j’étais petit, je regardais les choses de très près et j’étais comme hypnotisé par elles. La lumière qui passait à travers la fenêtre illuminait les grains de poussière en suspension, et je m’arrêtais juste pour les regarder…

Vous utilisez de petits mots écrits en toutes lettres pour figurer les bruits. Le son vous manque-t-il dans la bande dessinée ?
Non, j’aime le silence. Lire le mot « goutte » et entendre un robinet goutter sont deux choses différentes. J’ai choisi d’insérer ces petits mots traduisant les bruits notamment parce que je suis sous influence des mangas et de Chris Ware. Ce dernier utilise les sons pour égrener le temps, et les mangas possèdent un riche répertoire d’onomatopées. bbb_ciel.jpgÀ partir de là, je préfère écrire « son de l’eau qui coule » plutôt que « shhhh… ». Et je trouve joliment idiot d’écrire « bleu » sur un ciel dessiné en noir et blanc. Ça m’amuse et ça correspond au style brut de mon livre.

Même si les relations entre les membres de la famille Loony sont décrites de manière réaliste, plusieurs éléments (comme la tête de grenouille dont est affublé le plus jeune des enfants) sont mystérieux ou fantaisistes…
Les dessins sont de toute façon irréalistes. L’artiste américain Alex Katz a dit un jour : « La peinture réaliste ne ressemble pas à la réalité, elle ressemble à de la peinture réaliste. » Je ne cherche pas à créer un niveau de réalité ou de vérité à la surface de mes BD, mais plutôt une atmosphère et des émotions. Les dessins sont des dessins, et l’histoire est une histoire.

Parvenez-vous à vivre de votre activité de dessinateur ?
J’arrive à m’en sortir, mais mes comics ne suffisent pas. Je fais aussi de l’illustration et du story-board. Actuellement, je vis sur l’avance que m’a donnée l’éditeur Pantheon pour mon prochain livre BodyWorld, que je diffuse gratuitement en épisodes sur mon site.

bbb_mouches.jpgVous rencontrez un vrai succès critique en France et aux États-Unis. Cela vous surprend-il ?
Oui et non. En école d’art, on vous enseigne que les gens vont acheter un tableau si le sujet leur plaît. C’est pourquoi les nus sont si populaires… Si vous regardez l’ensemble de mon travail, je peux être classé comme un auteur expérimental. Mais comme Bottomless Belly Button et BodyWorld sont des histoires comportant de vrais personnages, elles ont conquis un plus large public. Les gens préfèrent les histoires menées par les personnages [par opposition aux histoires menées par l’action], mais je ne suis pas sûr de vouloir me limiter à cette voie-là.

Un clip visible sur votre site fait penser au travail de Michel Gondry. Seriez-vous tenté par le cinéma (live ou animation) ?
J’aime l’animation faite main. Je travaille sur une série de courts-métrages animés qui sera diffusée sur Independent Film Channel en 2009 et consultable en ligne. Elle s’intitule The Unclothed Man in the 35th century [L’homme sans vêtement au 35e siècle]. Michel Gondry est un ami d’amis, mais je ne lui ai jamais vraiment parlé. J’aime sa manière d’inventer avec une caméra.

Propos recueillis et traduits par Benjamin Roure

Images © Dash Shaw et Çà et là.

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Bottomless Belly Button.
Par Dash Shaw. Éditions Çà et là, 30 €, novembre 2008.
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