Helen a grandi sans mère, trimballée par son père à travers l’Amérique, jusqu’à la mort brutale de ce dernier. Il était écrivain et produisait un feuilleton de fantasy dans des pulps, devenu culte par la suite. Mais il était désespérément alcoolique, menteur et malheureux, et a fini par se pendre. Traumatisée, la grande ado Helen s’est retrouvée orpheline, se consolant comme son paternel de clopes et de bouteilles. Avant qu’elle ne sombre définitivement, son grand-père la récupère, l’installe dans son manoir et lui adjoint une super gouvernante pour lui inculquer l’éducation des jeunes filles de bonne famille. Mais l’aïeul est souvent absent, et Helen découvre qu’il parcourt des mondes merveilleux, ceux-là même que décrivait son défunt père dans ses romans. Elle convainc alors le grand-père de l’entraîner pour voyager à ses côtés : car là-bas, c’est la loi du plus fort…

Tom King (Mister Miracle, Strange Adventures, Love everlasting, Danger Street, Sheriff of Babylon…) ne fait jamais les choses à moitié, même sur un projet relativement court comme ce Helen de Wyndhorn. Non content de produire un bel hommage au pouvoir de la fiction et aux auteurs d’univers de fantasy à la Conan le Barbare, longtemps dénigrés avant d’être adulés par les générations suivantes, il construit surtout une très belle histoire de transmission, appuyée sur une métaphore de l’addiction et de la dépression. En effet, Helen veut comprendre qui était ses parents – l’omniprésence du lourd et pénible héritage paternel ne fait que souligner le silence autour de l’absence de la mère – et est prête à tout pour marcher sur leurs pas. Même à devenir quelqu’un d’autre et à y laisser la vie. Dès lors, on peut voir aussi le monde magique caché au bout du jardin comme une drogue dure à laquelle le papi brutal est accro, se perdant dans ses mondes pendant des semaines, avant de revenir éreinté et grognon, pansant ses plaies et comptant les jours avant d’y retourner. Et Helen, dans ses pas, troquera ainsi le vin contre une vie d’aventures surnaturelles, consciente des risques mais addict à l’ivresse des combats à l’épée contre des créatures sanguinaires. Entre héroïque et héroïne, il n’y a qu’une paire de lettres, finalement…

Au-delà de ces différents niveaux de lecture, distillés par un récit dans le récit (pourquoi faire simple, Tom, n’est-ce pas?), la réussite de l’album tient beaucoup dans le style léché et chatoyant de Bilquis Evely, et de son coloriste Matheus Lopes, déjà complices de Tom King sur Supergirl – Woman of tomorrow. Avec ses décors grandioses aux mille détails, ses anatomies sculpturales (oublions qu’Helen est censée avoir 15 ans…) et son sens du cadrage spectaculaire, la dessinatrice brésilienne impressionne dans les scènes magiques, mais n’en oublie pas de parfaitement incarner ses caractères, par un regard appuyé ou une posture signifiante. Ensemble, cette dream team propose un album que même les néophytes en comics pourront adorer, car Helen de Wyndhorn est avant tout une grande BD sur l’imaginaire, celui qui fait rêver comme celui qui peut emprisonner.

Traduction : Marie Renier