Un facteur au faciès totalement disgracieux se voit beau comme un dieu dans le miroir et ne comprend pas, dès lors, pourquoi les femmes repoussent ses avances. Dans le manoir familial où il se rend chaque week-end, sa mère joue les sorcières et son père est devenu un buste en pierre. Ajoutons au casting, une prostituée naïve, un majordome prévenant et vaguement bilingue, un étrange petit peuple du jardin, une bouée canard qui parle, des plantes exotiques affamées, des cambrioleurs maladroits, des policiers benêts… Et voilà un album sans queue ni tête, ni d’ailleurs grand intérêt, outre le trait toujours aussi singulier et puissant de Régis Loisel.

Car le dessinateur de La Quête de l’oiseau du temps n’a rien perdu de sa fougue et de son expressivité, de son goût pour les ombres inquiétantes et les corps plantureux ou abîmés. Mais à quoi bon, si c’est pour illustrer une histoire datée, mi-érotique mi-fantastique, comédie de boulevard aux dialogues graveleux et aux situations gênantes ? Sous prétexte d’un délire assumé, on assiste surtout à un carnaval de grand n’importe quoi, qui s’étire artificiellement sur quelque 160 pages, avec des rebondissements mous, des facilités scénaristiques en cascade et une conclusion en forme de happy end totalement hors de propos. On pourrait aussi fustiger des relents de colonialisme (le serviteur noir avec fez et costume d’apparat, les créatures au look de pygmées de cartoon…) ou de misogynie (pelotage en série, scène lesbienne…) très 70’s, mais il faut surtout voir là des vieilles idées recyclées et des vieux fantasmes récurrents plutôt qu’un positionnement réactionnaire. Cependant, rien n’excuse de proposer un projet aussi creux, aussi mal agencé, avec aussi peu de vision que de souci de cohérence. On ne peut pas tout pardonner à l’aune d’une riche carrière…