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BoDoï, explorateur de bandes dessinées – Infos BD, comics, mangas | April 23, 2024















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Dans l’antre du Zarmatelier

16 juillet 2018 |

zarmatelier-murQue connaît-on de la vie quotidienne des auteurs de bandes dessinées ? On les imagine généralement courbés au-dessus de leurs planches à dessin, dans l’intimité de leurs chez-eux. Mais bien souvent, ils travaillent aussi en groupe, dans ces fameux « ateliers », des locaux partagés qui, bien avant la vogue des co-working, étaient déjà prisés par les artistes. BoDoï vous emmène dans l’un d’eux, baptisé le « Zarmatelier », à Marseille, afin d’observer les auteurs dans leur environnement naturel. En compagnie de Clément Baloup.

Pour découvrir cet écosystème spécifique qu’est le Zarmatelier, implanté dans le quartier de la Plaine, au cœur de la savane Marseillaise, il faut un guide. C’est Clément Baloup (Mémoires de viet-kieu, Le Ventre de la hyène, La Concubine rouge, Diables sucrés), qui dès nous ouvre la discrète porte du local.

Les premiers bureaux, montés sur tréteaux, sont encore déserts. « En bas, ils commencent plus tard », prévient Clément Baloup. Au fond du rez-de-chaussée, après avoir escaladé quelques marches, on atteint une pièce presque lumineuse, à peu près aérée, quoiqu’un peu basse de plafond (1m 85 à en croire le « Aïe », écrit au marqueur noir au-dessus du linteau de la porte). La décoration y est pour le moins surchargée. À croire que quelqu’un a lancé une chasse au blanc de mur, tant les interstices séparant les croquis, photos, photos de croquis, croquis semi-encrés et autres sources d’inspiration ou signes d’appartenance, se font rares.

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Clément Baloup sur sa table lumineuse. Il dessine l’album « From black to white ».

 

Des vacances, quelles vacances ?

Au milieu de ce débordement de fantaisie, égayé par quelques guitares et même – ô joie – d’une figurine de Spiderman articulée, Clément Baloup rejoint deux édifiants spécimens de dessinateurs déjà au travail. Domas (Litost, Tels pères telles filles, La Vie en rouge…), au sourire franc immédiat, et Alice, de son pseudo « Bienassis », plus discrète. Clément Baloup s’assoit à sa table lumineuse, et reprend le décalquage de crayonnés en transparence. Pas de temps à perdre, il est en pleine bourre.

Son prochain album, avec Stéphane Louis au scénario, sera baptisé From Black to White. Il racontera la vie d’un fan de Michael Jackson, rythmée par la contemplation, parfois béate, parfois critique, de son idole. Sortie à l’automne, pour l’anniversaire de la mort de la star. « Alors les vacances, commente le dessinateur, c’est pas pour tout de suite… » Domas saute sur cette occasion de le charrier : « C’était quand, déjà, tes dernières vacances ? » « Oh, il n’y a pas longtemps, en 2003 ?« , répond l’intéressé sur le même ton, déclenchant le rire de ses acolytes.

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Domas à sa table. Saura-t-il croquer Line Renaud ?

Une sonnette retentit, et il bondit aussitôt : « Ah, c’est mon stagiaire. » Tandis que Clément Baloup descend au rez-de-chaussée, Domas consulte ses mails et passe en revue le travail de la journée. Il s’exclame, plein d’une ironie mordante : « Dessiner Line Renaud, mais oui, pourquoi pas ? » Une partie de son travail, en dehors de la BD, est comme nombre d’auteurs consacrée à l’illustration, d’un peu tout et n’importe quoi… « C’est ça, aussi, le boulot, continue-t-il, résigné. Bon alors, je vais lui faire trois têtes… »

Le stagiaire et les fondateurs

Du petit escalier apparaît Sébastien, le stagiaire de Clément Baloup, le dos courbé pour que son front ne percute pas le linteau. Ils se sont rencontrés récemment, durant un reportage pour la revue XXI, portant sur le quartier marseillais d’Air Bel, où habite Sébastien. Celui-ci a récemment bifurqué d’une formation d’ingénieur pour se consacrer à son rêve, la BD. Quand il ne crayonne pas des croquis préparatoires de monstres, pour son projet personnel, il est l’assistant de Clément Baloup et donne de petits coups de main sur From Black to White.

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Un dessin de Richard Di Martino, cofondateur du Zarmatelier.

Puis c’est au tour de Bruno Bessadi, le président de l’association Zarmatelier, de monter à l’étage. Il salue les collègues et regarde un instant le travail d’Alice par-dessus son épaule. Ils pouffent tous deux. Avec Richard Di Martino, Bruno est le dernier membre fondateur à faire encore partie du collectif. Le Zarmatelier est né lorsqu’un groupe d’amis, dont ces deux-là, ont perdu leur place au studio d’animation Aladin, à la fin des années 90. Tous jeunes dans le métier, ils voulaient continuer à « bosser entre potes », et le Zarmatelier est né. Il y a 17 ans déjà.

À l’évocation des débuts héroïques, Clément Baloup devient songeur : « Moi je suis là depuis… oh, merde, 12 ans déjà ? » Domas n’en rate pas une : « T’as quel âge déjà, Clément ? » Ce qui lui vaut un regard noir…

Sur les neuf dessinateurs du collectif, il est rare que tous travaillent en même temps à l’atelier. Ce matin, par exemple, on ne croisera ni Eddy Vacaro (Les Gueules rouges, Mobutu dans l’espace, Championzé…), ni Didier AXL (illustrateur et spécialiste du comics US), ni Yann Madé (auteur en déplacement en Algérie pour animer une formation BD), ni Mohamed Labidi (dessinateur, actuellement story-boarder sur un dessin animé). Comme l’explique Domas, ils ont des vies très différentes, et des rythmes particuliers : « Moi, je vais chercher tous les jours mes filles dans le 8e, à 15h30. Résultat, entre ceux qui arrivent tôt le matin, tard le matin, tôt l’après-midi, qui restent jusque tard le soir ou qui quittent tôt dans l’après-midi, il y en a que je ne vois quasiment jamais. »

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Le bureau d’Eddie Vacaro.

 

« C’est l’accélérateur, ici »

Devant ce chaos permanent, on se demande comment ils font pour ne pas se disputer, au moment de choisir la musique de fond. « Là aussi, il y a des combinaisons complexes », répond Domas en croisant les regards de ses acolytes. Lui, c’est le bon vieux rock, là où Alice est résolument électro, et Richard Di Martino… hard rock et métal. Aux antipodes, Clément Baloup est un fin connaisseur de world music : « Parfois, je les défie en mettant quelques morceaux choisis, du reggae de Trojan Records par exemple. Et bien après, en représailles, je sais que je vais devoir supporter une avalanche de sons saturés et dérangeants », glisse-t-il avec un regard de malice vers Domas.

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Le bureau et les écrans d’Alice.

Ce qui fait le charme de l’atelier est aussi son défaut. Les auteurs peuvent dessiner en parlant, dans l’agitation, mais pas n’importe quoi. Tout ce qui nécessite trop de concentration, comme l’écriture, se fait ailleurs. Finalement, le Zarmatelier sert à autre chose, comme le pointe Clément Baloup : « Depuis qu’on travaille côte à côte, on a tous évolué. Ça diffuse, entre nous. Je me suis retrouvé à faire des choses que je n’aurais jamais imaginé faire au début de ma carrière. Les autres sont plus dans un savoir-faire classique que dans une recherche d’expérimentation, contrairement à moi. En fait, en regardant leur travail, j’ai particulièrement appris sur la lisibilité – ce qu’on retrouve d’ailleurs dans mon travail actuel. » De cette réunion de circonstances au sein de l’atelier, sont aussi nées quantité de collaborations sur des albums, au fil du temps. « C’est l’accélérateur, le Zarmatelier, la start-up ! »

Alice lève le nez de son travail, et confirme d’un air un peu ému : « Non mais c’est vrai, j’ai carrément senti ça en arrivant ici, l’année dernière. » Et c’est là tout l’attrait de la meute, qui donne à relativiser le mythe de l’isolement de l’artiste. Au beau milieu du bouillonnement de Marseille, les dessinateurs se réunissent au Zarmatelier comme autour du point d’eau, entre eux, là où il suffit de se pencher pour laper l’inspiration.

Mathieu Pequignot

Photos © Mathieu Pequignot pour BoDoï

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