Au fond d’une vallée alpestre, une petite communauté obéit à des règles simples et ancestrales : on vénère Emkla, déesse de la nature, puissante et terrible, et on ne pose pas trop de questions. Surtout, on ne laisse pas les femmes prendre des initiatives et on ne va pas voir ailleurs ce qui se trame, des fois qu’on y croiserait des étrangers… Une jeune habitante du village ne supporte plus le carcan de ces usages, idiots et violents, qui laissent même une petite fille se faire emporter par une nuée de corbeaux, car ce serait la volonté d’Emkla. Elle, elle voudrait voir le monde, découvrir autre chose par ses yeux, vivre tout simplement. Mais quand les calamités s’abattent sur le hameau, il s’agira d’abord de survivre.

Entre conte fantastique et fable ésotérique, Peggy Adam (La Gröcha) brouille les cartes à plusieurs reprises dans ce one-shot fascinant. La trop rare autrice installée en Suisse brosse ainsi une pesante ambiance de petite communauté fermée et engoncée dans ses rituels, avant de bifurquer vers un scénario de fin du monde, qui prend des allures de rêve éveillé. La route de son héroïne, véritable épopée cauchemardesque, semble de plus en plus fantasmagorique à mesure qu’elle avance, telle une descente aux enfers âpre et sans issue. Optant pour l’aquarelle, Peggy Adam offre des planches aux lumières vibrantes, et son crayon se fait alors plus dur et expressionniste – on verrait même l’ombre de figures flippantes de Blutch dans certains passages. Mais entre éco-anxiété, parole féministe et plongée mentale dans l’esprit d’humains détraqués, elle compose un univers très personnel, réinventant sa propre grammaire visuelle, pour mieux déstabiliser et questionner ses lecteurs, tout au long d’un album magistral.