Imaginez un couple d’origine africaine, à la peau noire. Ou un autre qui vient de Jordanie. Chacun attend un enfant. Et quand celui-ci arrive, il est blond aux yeux bleus. Pour chaque famille. Adultère ? Non. Un accident génétique inattendu, qui a produit un enfant en parfaite santé mais à l’apparence bien différente de celle de ses géniteurs. Un virus en serait la cause. Une épidémie d’enfants blonds aux yeux bleus se répand ainsi, à partir du Danemark et bientôt partout en Europe, suscitant des crises identitaires graves, un état de siège sanitaire jamais vu et une possible guerre civile continentale…

Après s’être amusé autour de petits contes noirs dans Réalités obliques, Clarke revient à une problématique plus forte, tout en conservant un certain goût pour l’absurde. Comme dans son ambitieux Dilemma, il pousse à fond son idée de départ, pour tenter de comprendre ce qui pourrait se passer si les humains se laissaient tourner la tête par cette nouveauté génétique spectaculaire, mais finalement pas illogique du point de vue de l’évolution globale. Pression de l’opinion publique, course aveugle au vaccin, communication de crises maladroite, repli communautaire, tensions diplomatiques… Sans jamais lâcher ses personnages – deux mamans aux enfants blondinets et un jeune scientifique bohème –, l’auteur brosse, dans un style semi-réaliste du plus bel effet, le portrait d’un monde occidental au bord de l’implosion, obnubilé par des futilités (l’apparence, les signes extérieurs d’appartenance à une communauté…) et ayant oublié toute forme de solidarité. Heureusement, il se veut optimiste et son récit, aussi noir soit-il, ne sombre jamais dans l’apocalyptique ou le dépressif. Alors passez outre ce drôle de titre et cette couverture singeant maladroitement la collection de polars scandinaves d’Actes Sud, et plongez dans cette histoire intelligente et palpitante, menée avec finesse et efficacité.