Nina est maquilleuse professionnelle, mais c’est bien en tant qu’influenceuse make-up qu’elle rayonne et gagne principalement sa vie. Le cinéma, les tournages, c’est, hélas, du bonus. Alors elle multiplie les vidéos, accepte partenariats et placements de produits à la pelle, et perd peu à peu le sens de ce qu’elle fait. Et puis, il y a cet homme encapuchonné qui l’attend devant chez elle, depuis des jours, et ces images de chasse aux sangliers qui la hantent la nuit… Star des réseaux ou esclave des likes, la frontière est mince et le gouffre n’est à qu’un pas…

Découverte avec Après l’oubli et l’épatant Astra Nova, ainsi qu’une chouette présence dans l’expo « Lignes de départ » à Angoulême, Lisa Blumen confirme qu’elle est une autrice qui compte avec ce nouveau one-shot troublant : elle qui se singularisait par des personnages aux yeux dissimulés ou rapidement brossés, la voilà qui compose une sombre histoire de regards. Entre thriller hitchcokien et parabole sur l’ère narcissique et mortifère des réseaux sociaux, Sangliers scrute avec intelligence l’air du temps, dans un jeu de regards et de miroirs multiples. Nina vit à travers le regard et les commentaires de milliers d’inconnus dématérialisés, mais ne supporte par d’être observée par une silhouette de chair inquiétante. Son avenir professionnel dépend de l’image qu’elle se construit, mais celle-ci écrase peu à peu son identité profonde (glaçante discussion avec une de ses amies influenceuse qui se remet avec son ex, juste parce que ça fait de bonnes stories). Fenêtre, écrans, vitres du métro ou de la voiture, toute sa vie passe au travers du filtre d’un cadre et d’un regard jamais neutre, et on comprend mieux alors l’obsession qu’elle développe pour une incarnation presque caricaturale de la chose sensitive, cette bête de chair, de sang, d’odeur de fauve et de cris qu’est le sanglier…

Qui observe qui, et pourquoi, voilà les grandes questions très subtilement évoquées dans cet album au dessin plus détaillé que les précédents de l’autrice belge, aux camaïeux de rose aussi osés que percutants, dans des tons volontairement saturés, pour bien marquer l’artificialité des images fabriquées pour les réseaux et instiller une possible dose de fantastique. Un livre aussi puissant qu’accessible et dans l’air du temps, mais sans jamais tomber dans la facilité ni la caricature.