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« Supergods »: l’hommage érudit de Grant Morrison au super-héros

15 novembre 2017 |

Les éditions Fantask ont la bonne idée de publier enfin l’essai de Grant Morrison, Supergods. Une analyse fine et parfois caustique du mythe des super-héros, et des auteurs qui ont contribué à son succès.

supergods-morrison-couvGrant Morrison est sans doute l’un des plus grands auteurs de comics en activité. Et ce n’est pas lui qui dira le contraire. La modestie n’a jamais vraiment fait partie de ses qualités et c’est vrai que le scénariste écossais a contribué à révolutionner la bande dessinée anglo-saxonne. Avec quelques autres auteurs de sa génération (Alan Moore, Neil Gaiman, Peter Milligan ou encore Garth Ennis), fiers représentants de ce que l’on nomma aux États-Unis la « British invasion » dans les années 1990, il amena le médium à réfléchir sur lui-même comme jamais auparavant, à coups de créations méta nourries d’un amour sincère pour le travail de ses prédécesseurs. On lui doit entre autres Les Invisibles, Doom Patrol, un Animal Man dépoussiéré, le récit bouclé Arkham Asylum puis un run marquant dans les années 2000 sur Batman, une JLA revivifiée, les New X-Men, Flex Mentallo…).

On se réjouit du coup de lire enfin en français son passionnant essai Supergods, paru en 2011 et enfin traduit par l’éditeur Fantask, dans lequel l’Écossais rend un hommage argumenté et érudit au super-héros, qu’il érige au rang de mythe majeur des XXe et XXIe siècles. Les spécialistes de l’histoire des comics n’y apprendront certes pas grand-chose, mais l’analyse assez fine que livre le punk lettré Morrison de chaque grande période traversée par l’industrie à l’aune de sa propre expérience de lecteur et de scénariste, apporte un point de vue parfois très éclairant sur des événements connus.

À chaque époque sa drogue, même chez les auteurs de comics…

Morrison, au gré d’une vie de sex, drugs et rock’n’roll, a vécu des expériences chamaniques qu’il ne se prive pas de raconter et qui ne constituent pas les passages du livre les plus convaincants. Mais les échos qu’il décèle entre les stupéfiants consommés par les auteurs de comics et les délires narratifs dominants à chaque époque sont bien vus : le LSD, explication évidente aux trips psychédéliques des auteurs Marvel de Dr Strange ou de Captain Marvel dans les années 1970 ; la cocaïne comme carburant des auteurs des vigilante ultra-libéraux des années 1980 ; puis la MDMA, drogue préférée de ses copains libertaires européens aux manettes dans les années 1990… Tout cela fait sens.

grant-morrison-photoGrant Morrison brille surtout par la pelote de références qu’il dévide pour lier irrémédiablement les super-héros à leur époque : sous sa plume, le Dark Knight de Frank Miller ne se comprend qu’en écho aux films Wall Street d’Oliver Stone ou au roman American Psycho de Bret Easton Ellis. Et les Watchmen d’Alan Moore doivent tout aux expérimentations formelles de Thomas Pynchon, Peter Greenaway et Nicolas Roeg.

Le meilleur ennemi d’Alan Moore

Sur Watchmen, Morrison n’est pas avare d’analyses. L’auteur ne minimise pas l’impact de ce roman graphique mais ne se prive pas de le qualifier de pensum aussi condescendant que son auteur à l’égard des comics. Morrison et Moore ne s’aiment pas, et Morrison en fait une affaire de philosophie. Moore serait selon lui un missionnaire qui regarderait les superhéros (et leurs lecteurs) comme une peuplade inférieure, tandis que lui-même se qualifie d’anthropologue qui ne juge pas et n’a pas peur de se mêler à son sujet d’étude. La rivalité est savoureuse et on se régale des piques expédiées par Morrison, volontiers langue de vipère – ses petites attentions, sans avoir l’air d’y toucher, pour le sens des affaires de Chris Claremont, Neil Gaiman ou encore Rob Liefeld, sont priceless).

Mais force est de constater que l’homme a toujours fait preuve de générosité et de bienveillance par rapport aux super-héros, multipliant parfois jusqu’au maniérisme les clins d’oeil à ses aînés. En premier lieu : Joe Shuster et Joe Siegel, créateurs exaltés du plus optimiste des super-héros, Superman. Sans surprise, le personnage préféré de Morrison qui lui consacra ce qu’il considère comme son chef d’oeuvre, All-Star Superman, dessiné par Frank Quitely.

Tardif mais pertinent

all-star-supermanLe seul regret finalement, c’est de lire si tard Supergods, écrit au tout début de la décennie. Il s’en est passé dans le monde des super-héros depuis, et Morrison n’a pas un mot pour la jeune génération qui tient les rênes de Marvel et DC, et s’exprimait déjà dans les titres indé à l’époque. Et puis à l’époque, l’empire cinéma de Marvel n’en était qu’à poser ses premières pierres ; Morrison n’en prend pas totalement la mesure. Facile à dire vu depuis 2017…

Et tout cela n’ôte rien à la pertinence de cet essai, indispensable pour tout amateur de comics et qui donne furieusement envie de se replonger dans ses classiques. Qu’ils soient signés Jack Kirby, Steve Ditko, Roy Thomas, Don McGregor, Morrison himself ou même, Alan Moore…

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Supergods.
Par Grant Morrison (trad. Alex Nicolavitch).
Fantask, 512 p., 25 €, septembre 2017.

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