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Watchmen, la série télé qui fait honneur aux Gardiens

29 octobre 2019 |

Le créateur de Lost, Damon Lindelof, dote les Watchmen d’une suite à la télé pour HBO et, contre toute attente, réussit à transposer de nos jours avec une pertinence insoupçonnée les préoccupations de la BD originelle. Un exploit.

watchmen-serie2Adapter les Watchmen à la télé, une folie. On sait l’aversion qu’a le scénariste de la bande dessinée originelle Alan Moore pour toute tentative de toucher à un de ses bébés et Watchmen occupe une place de choix dans sa bibliographie. Damon Lindelof, créateur de Lost et The Leftovers, s’est longuement posé la question de sa légitimité à aller ainsi contre la volonté d’une de ses idoles. Ne pouvant résister à la tentation de se frotter à cette œuvre majeure du XXe siècle, il a écrit une lettre au barde de Northampton pour chercher de manière tout à fait illusoire un semblant d’approbation. C’est beau l’espoir… En retour, Moore lui a simplement fait savoir qu’il refusait d’apparaître au générique. Affaire classée. Au générique, donc, comme pour l’adaptation littérale que tira de la BD Zack Snyder au cinéma, il est donc précisé « d’après le roman graphique co-créé par Dave Gibbons ». Le dessinateur a, lui, donné sa bénédiction au projet, séduit par la proposition de Lindelof de ne justement pas transposer bêtement Watchmen à l’écran, mais de lui donner une suite.

La série se déroule de nos jours, plus de 30 ans après les événements de la BD. Les Watchmen sont pour la plupart décédés, mais leur souvenir est encore vivace. Personne n’a oublié le meurtre de masse commis par l’infâme Ozymandias. Dr Manhattan s’est retiré des affaires humaines et vit en ermite sur Mars. Le Hibou ou le Comédien sont devenus des icônes pop dont on tire des séries TV. Surtout, le spectre de Rorschach plane toujours, menaçant, sur l’Amérique, son héritage confisqué par un groupe de terroristes nationalistes qui se réclament de ses écrits et portent son célèbre masque taché. Pour lutter contre cette « Septième Cavalerie » qui ne recule devant rien, les policiers par crainte des représailles sur leur famille portent aussi des masques et pour certains, des tenues complètes de justiciers à l’image d’Angela Abar (jouée par l’excellente Regina King), fausse pâtissière qui combat légalement le crime sous l’identité de Sister Night.

Lindelof ne se contente pas de bricoler avec opportunisme un « Après Watchmen » comme il y avait eu en librairie un Before Watchmen, inégal et globalement assez inutile, commandé par DC avec l’idée de réactiver la machine à cash sur cette franchise (et suprême infamie: l’intégrer au DC Universe). Du magnus opus de Moore et Gibbons, il a compris que ce qui importait le plus n’était pas tant la critique post-moderne du genre super-héroïque qu’elle proposait, même ultra-pertinente à l’heure de la domination Marvel sur le box-office mondial, que les passionnantes interrogations morales, philosophiques et politiques sur l’usage de la violence, légale ou clandestine, soulevées à l’époque par l’ouvrage.

L’Amérique ici dépeinte est certes dystopique, elle plus vraie que nature : c’est le très progressiste Robert Redford qui est président depuis 1992, mais cela n’a empêché ni les brutalités policières ni le racisme de prendre profondément racine dans le paysage. Lindelof et sa réalisatrice Nicole Kassell ne rechignent pas à explorer le versant satirique des Watchmen, mais ils ne sont globalement pas là pour ricaner au second degré : dès le pilote, ils frappent fort avec la reconstitution saisissante d’un événement historique bien réel et méconnu, le massacre de la population d’un quartier noir de la ville de Tulsa par des suprémacistes blancs en 1921. Ils en font l’événement déclencheur de leur intrigue. D’autres développements par la suite appuieront là où cela fait mal, avec d’évidentes résonances avec notre réalité à nous.

watchmen-serie1Il y a dans l’approche de Lindelof une vraie compréhension des enjeux soulevés par le vigilantisme dans le matériau de base. On pense au récent Joker et aux motivations confuses de son personnage principal, virant à la justification un peu hasardeuse du recours à la violence individuelle et collective. Bref, des concepts sans doute un peu trop complexes à manipuler pour le réalisateur Todd Phillips. Ce Watchmen-là sait ce qu’il fait et assume ce qu’il dit ou fait dire à ses personnages, avec une confiance et une maturité qui forcent le respect.

On n’imagine pas un seul instant Moore s’abaisser à regarder la série et encore moins admettre qu’elle ne lui fait pas totalement déshonneur. Cela n’arrivera jamais. Mais quand on voit tout ce qui a été commis en son nom à son corps défendant à ce jour (n’oublions jamais La Ligue des Gentlemen extraordinaires, le film), on se dit que s’il devait le faire une seule fois dans toute sa vie, ce pourrait être cette fois-ci.

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Watchmen, série de Damon Lidelof.
Avec Regina King, Don Johson, Jean Smart, Tim Blake Nelson, Jeremy Irons…
Sur OCS depuis octobre 2019.

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