Au théâtre ce soir, la pièce bat son plein. Depuis des heures, des jours même, qui sait. Car le dramaturge n’arrive pas à écrire la fin de son oeuvre, tourmenté par les doutes et l’angoisse, incarnés par une mauvaise conscience tout à fait retorse. Voilà qui est ennuyeux car, au-delà d’éreinter comédiens, techniciens et spectateurs, cela va empêcher Norman de se rendre à son rendez-vous avec la belle Brunilda, car il devrait pour cela traverser la grande scène…

Entre théâtre de l’absurde et fantaisie graphique, l’Espagnol Genís Rigol propose un album original et insaisissable pour sa première bande dessinée. Au sein de grandes planches comme autant de plongées dans les coulisses grandioses d’un opéra tragi-comique, il s’amuse à manipuler les ressorts narratifs de plusieurs médias. D’abord, le théâtre évidemment, par les dialogues, faussement improvisés, dans un dispositif gigogne allant de la feuille blanche du dramaturge (n’écrivant bien que drogué!) à la voix de l’acteur, en passant par les mains du régisseur et les mots du souffleur. Le cinéma, aussi, par un habile jeu de champs/contrechamps, de plongée, de jeux de lumière, de décors gigantesques, mais aussi de mouvements de personnages qu’on imagine tirés de l’âge d’or du muet (Genís Rigol vient de l’animation, et a co-réalisé un court métrage avec Pau Anglada et Marc Torices – on sent d’ailleurs une vraie proximité de son trait avec l’auteur de Cornelius). Et la bande dessinée, forcément, qui lui sert à faire des ponts audacieux entre ses principes narratifs, au travers de découpages étonnants, mouvants, et jamais répétitifs, tels des maquettes d’un petit monde grouillant de vie, à observer en spectateur discret.

Dès lors, l’intrigue en elle-même passe au second plan, malgré de jolis flashbacks sur la trajectoire du dramaturge. Car ici, comme sur scène, c’est l’expérience vécue qui prime sur le récit, les émotions d’une performance vivante plus que ce qui se déroule. En cela, le défi est relevé.