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Warnauts et Raives, à la poursuite de "Liberty"

29 janvier 2010 |

liberty_introDu Zaïre à New York, Liberty conte la vie d’une jeune africaine qui tombe enceinte après avoir été violée par un blanc, et qui s’envole pour l’Amérique, où elle accouchera d’une jolie métisse. Une histoire pleine d’humanité signée des Belges Éric Warnauts et Guy Raives, créateurs des Suites vénitiennes, de Fleur d’ébène et de À coeurs perdus. Collaborateurs depuis plus de 20 ans, ils sont fidèles à leur méthode de travail originale : après de longues discussions, le premier écrit le scénario, puis ils s’échangent leurs crayonnés dans un aller-retour incessant, et enfin le second colorise les planches. Peuplé d’images fortes et chargé d’émotion, leur nouvel album est une saga qui s’étend sur près de quarante ans, du légendaire combat entre Mohamed Ali et George Foreman à l’élection de Barack Obama.

liberty_bienvenueComment est née l’histoire de Liberty ?
Éric Warnauts : Ce sont en réalité des histoires croisées. Au départ, il y a cette relation entre une femme africaine et un diplomate français, qui nous a été rapportée par une amie. Mais on reste dans la fiction, car la véritable histoire n’est pas allée aussi loin que ce que nous racontons dans l’album.
Guy Raives : Il y avait également ces souvenirs d’images fortes de l’époque : le combat entre Ali et Foreman, la guerre du Vietnam. On voyait cette guerre tous les jours à la télé, on observait les soldats sur le terrain, les échanges de tirs. On ne montre plus ça aujourd’hui.
E.W.: Ensuite, la partie aux États-Unis nous vient d’amis, qui ont vécu à Harlem ou dans le Bronx. Toutes ces choses se sont mélangées pour donner naissance à Liberty, un récit complètement inventé mais inspiré d’éléments réels. C’est en général comme cela que nous procédons.
G.R.: Nous fonctionnons par déclics, les idées et les histoires s’emboîtent au fur et à mesure de l’écriture.

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Par le biais de cet ouvrage, vous dessinez une petite page de l’histoire des Afro-Américains…
E.W.: Oui. Le passage sur les Black Panthers est directement issu d’une discussion avec mes amis new-yorkais. Nous nous demandions comment les Afro-Américains avaient pu passer de la lutte des Panthers, des poings gantés de noir de Smith et Carlos aux Jeux Olympiques de 1968, aux images véhiculés par le rap et le R’n’B d’aujourd’hui, où seul l’argent est glorifié.
liberty_noireG.R.: Avec le temps, nous abordons les problématiques sous des angles différents, souvent influencés par notre regard sur nos enfants qui grandissent. Le passage où la petite Liberty, née métisse, déclare qu’elle aurait préférée être blanche est tirée d’une vraie discussion avec la fille métisse d’Éric.

Pourquoi pousser votre récit jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001 et à l’élection de Barack Obama?
E.W.: Aujourd’hui, je pense qu’il est impossible d’écrire une histoire new-yorkaise sans évoquer le 11-Septembre. Cette catastrophe a tellement marqué la ville… Au départ, nous n’avions pas pensé inclure l’élection d’Obama dans notre album : dans les premiers temps de l’écriture, on ne parlait même pas encore de lui ! Il a finalement été élu…
G.R.: … et l’impact de cet événement a été tel que nous ne pouvions passer à côté ! Surtout dans un récit sur une famille noire américaine.
E.W.: Certains diront que c’est facile d’avoir conclu là-dessus. Mais j’ai été vraiment impressionné par une phrase prononcée lors de son discours de Chicago: « À tous ceux qui nous regardent ce soir au-delà de nos frontières, depuis les parlements et les palais jusqu’à ceux qui sont rassemblés autour de postes de radio dans les coins oubliés du monde: nos histoires sont singulières, mais notre destin est commun. » Cette allusion directe aux populations africaines, à ses racines, entrait en résonance avec notre façon d’imaginer Liberty. C’est pourquoi nous l’avons incluse.

liberty_edouardDans les 64 pages de votre album, vous brossez donc rapidement tout un pan de l’Histoire des États-Unis. N’avez-vous pas craint d’aller trop vite et de tomber dans les clichés ?
G.R.: Non, car les clichés des uns ne seront pas ceux des autres.
E.W.: J’ai l’impression qu’au fil des ans, je suis de moins en moins dans l’intellectualisation. Je réfléchis à mes scénarios, bien sûr, mais je ne veux pas faire dans le signifiant, ni imposer de certitudes.
G.R.: Le but d’une bande dessinée est que le lecteur y projette un peu de lui-même. Qu’il voie des choses auxquelles nous n’avions pas forcément pensé. Il faut lui donner de quoi s’investir dans l’histoire.

Éric Warnauts, vous enseignez la bande dessinée. Comment considérez-vous la nouvelle génération de dessinateurs ?
E.W.: Je suis partagé… Parfois, je suis sidéré de rencontrer des étudiants qui disent vouloir faire de la BD, mais avouent ne pas en lire. Je pense qu’on vit, comme en musique, une phase de digestion du passé et de récupération. Mais c’est rassurant aussi de croiser des jeunes vraiment mordus de bande dessinée, qui réussiront certainement.
liberty_couvG.R.: C’est aussi parce qu’il y a de plus en plus d’étudiants qui débarquent aux Beaux-Arts qu’à l’époque où nous étions nous-mêmes étudiants. Au final, il y a toujours autant de jeunes motivés et doués, et ce sont ceux-là qui émergeront de la masse.

Comment voyez-vous aujourd’hui l’évolution des relations entre l’Europe et l’Afrique, notamment en France, avec en plus le débat actuel sur l’identité nationale ?
E.W.: Pour moi, Nicolas Sarkozy et son fameux discours de Dakar sur l’homme africain, c’est le retour à Tintin au Congo ! On demande aux Africains d’effectuer des changements radicaux et rapides dans leurs pays tout neuf, alors que nous avons nous-mêmes du mal à faire bouger les choses. C’est d’une grande malhonnêteté intellectuelle. Concernant le débat sur l’identité nationale française, vu de Belgique, un pays envahi par les Allemands, les Français, les Espagnols, les Hollandais etc., et accueillant une forte immigration turque et africaine, j’ai un peu du mal à saisir… Je crois au temps, à la communication. Les États-Unis viennent à peine d’élire un président noir, ce qui était impensable il y a encore quelques années. Après, ce sera peut-être une femme. Le monde avance lentement, mais il avance.

Et les débats en Belgique, entre les Wallons et les Flamands ?
G.R.: Il n’y a pas de problème en Belgique. Il s’agit juste de conflits entre des politiciens et des pouvoirs locaux. Quand il n’y a qu’un seul parlement dans un pays, c’est déjà compliqué, alors imaginez quand il y en a un pour chaque communauté!

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Liberty
Par Éric Warnauts et Guy Raives.
Casterman, 15 €, le 27 janvier 2010.

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Images © Warnauts – Raives / Casterman

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