Un bon démarrage pour la collection « Témoins du monde »
Lancée par Steinkis et Les Escales, éditeur spécialisé dans le roman ou le récit de voyage, la collection Témoins du monde « a pour vocation de témoigner et de débattre de l’état du monde aujourd’hui ». Soit des bandes dessinées de reportages rendant compte de situations politique, sociale ou humanitaire contemporaines, sous une vision humaine et humaniste, mais sans angélisme. Les deux premiers ouvrages sortis en 2020, Falloujah, ma campagne perdue et Profession solidaire, chroniques de l’accueil affirment cette ambition de belle manière, avant les parutions annoncées de deux autres opus : Les Filles du Kurdistan et Tropiques toxiques.
Falloujah, ma campagne perdue
L’Irak est un pays meurtri par la guerre : celle contre l’Iran et celle menée par son leader, Saddam Hussein, contre le Koweit. En 2003, George W. Bush, arguant de la possession potentielle par le raïs d’armes de destruction massive et d’armes chimiques, lance une offensive sur le pays, assurant la population de son soutien. En effet, les États-Unis se proposent de libérer le pays du dictateur Hussein et de les amener sur la voie de la démocratie. Mais à quel prix ?
Feurat Alani est journaliste. Il part en reportage à Falloujah, une ville qu’il connaît bien. Celle de ses parents, celle des vacances de son enfance, la ville parcourue par un fleuve dont il porte le nom (l’Euphrate). Tout revient : les souvenirs d’enfance, la richesse de la culture et des traditions, et surtout les relations pleines d’amour familial… L’injustice est encore plus forte pour Feurat quand il découvre les crimes de guerre perpétrés par les États-Unis, qui arrosent les populations civiles de bombes à base de phosphore blanc ou d’uranium. Feurat constate l’horreur des conséquences : des bébés malformés et des anomalies génétiques, ainsi que des cancers que l’on retrouve aussi chez les soldats américains que le journaliste a rencontré aux États-Unis, offrant un contre-point pertinent.
L’enquête est solide, dénuée de tout manichéisme, dont la personnalisation, à travers les origines même de Feurat, est le point fort : le résultat est forcément celui d’un compte-rendu à hauteur d’hommes empreint d’un bel humanisme. Le trait noir et vif de Halim – Arabico, Un monde libre, Petite Maman – est très expressif, s’attardant en quelques traits sur la fatigue des visages, la stupéfaction et le désarroi des protagonistes, habitants de Falloujah comme soldats américains malades, abandonnés par leur gouvernement. Un belle prouesse graphique qui ose tout, reflétant le caractère à la fois personnel du récit et la rigueur du journalisme d’investigation. Enfin, le découpage ne se veut pas didactique, un choix intéressant mais qui est aussi une limite dans un conflit difficile à décrypter. Au final, Falloujah, ma campagne perdue se pose comme une enquête forte, dans la lignée des maîtres comme Joe Sacco.
Par Halim et Feurat Alani. 120 p., 18 €, mars 2020.
Profession solidaire, chroniques de l’accueil
Jean-François Corty est médecin et a travaillé au service de diverses ONG. Au début des années 2000, il sillonne l’Érythrée, l’Afghanistan, le Niger, l’Iran… Le constat est simple pour le « french doctor » (dans son acception la plus noble) : les situations critiques et endémiques des pays les moins avancés annoncent de futures migrations massives. Or, personne ne semble s’y préparer. De nos jours, en France, au sein des équipes de Médecins du Monde, il expérimente de nouvelles formes de solidarité, que ce soit aux premières loges de la « jungle » de Calais ou en déployant des projets ambitieux dans les déserts médicaux français.
Ce récit graphique permet à Jean-François Corty de narrer son histoire et sa vision de l’humanitaire, à la fois pragmatique et éthique, qu’il défend avec véhémence et passion sur les plateaux de télévision face aux Cassandre de la déferlante migratoire. Aidé dans le découpage narratif par Jérémie Dres – Nous n’irons pas voir Auschwitz, Si je t’oublie Alexandrie – il déroule de manière chronologique son action, permettant par là de comprendre la géopolitique des migrants et des migrations. Le chapitrage resserré et les cases régulières de Marie-Ange Rousseau (Péyi an nou), dont le trait simple et naïf accompagne modestement le parcours du médecin, apportent à l’ensemble un didactisme louable bien que largement conventionnel.
Par Marie-Ange Rousseau, Jean-François Corty et Jérémie Dres. 128 p., 18 €, juin 2020.
Avec ces deux ouvrages la collection Témoins du monde, confirme que la bande dessinée s’impose, une fois de plus, comme un passeur de choix pour décrire l’actualité du monde à hauteur d’hommes.
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