Calamity Jane
Lorsque l’on ouvre cet album promettant la « véritable histoire du Far -west », on s’attend à une biographie détaillée et chronologique de Martha Jane Cannary, figure majeure dont il est difficile de décrypter la part de réel et de légende. En faisant débuter son récit en 1876, les deux autrices ont un tout autre projet : c’est une « Calamity Jane » déjà bien installée qui nous est présentée, naviguant entre l’héroïque et le crépusculaire.
Arrivée à Deadwood en 1876 – elle est alors à la moitié de sa vie –, elle y roule des mécaniques, lutte pour sa place et raconte sa légende. Celle qui avait produit de son vivant un prospectus fantasmatique sur ses exploits est présentée à la fois comme respectée et pas vraiment crue, détestée par certains, mais faisant partie du folklore. Toujours, malgré tout, d’abord du côté des filles de mauvaise vie et des moins que rien. Le récit s’entrecoupe parfois de séquence au style de vieux comics de gare, où soudain la légende revient, bien plus proche de ce qu’on imagine à propos de cette figure dont on sait si peu. Un jeu de style où Gaëlle Hersent, dont le style est d’un réalisme classique, s’avère habile, capable de rupture nette entre les univers et rendant un bel hommage aux dime novels, ces romans à quelques sous où les mythes se construisent.
L’album navigue entre une Martha alcoolique et mythomane et le visage d’une femme qui a dû se construire dans la douleur d’un monde hostile à son genre, en ayant toujours su, in fine, de quel côté se ranger. Si elle gêne la bonne société, ce n’est pas tant pour sa possible grossièreté que parce qu’elle ose défier un monde d’hommes – en se déguisant pour aller dans l’armée, en maniant les armes et en fréquentant les saloons. Dans les jeux narratifs, qui dessinent aussi de belles loyautés, on découvre une femme droite, qui défend l’humain dans sa globalité – allant jusqu’aux noirs et aux Amérindiens, pas si communs à l’époque –, assurément féministe même elle n’utilisait pas ce terme, tout en étant prête à sauver celles et ceux qui l’ont rejetée.
Si cela n’en fait pas une bonne chrétienne (quoique…), c’est assurément une figure subtile et profonde, habilement racontée, dans un ouvrage qui réussit à remporter le pari du récit historique sans trop de lourdeur pédagogique. Le dossier historique qui le complète, signé par l’historien spécialiste de l’histoire des États-Unis Farid Ameur, vient d’ailleurs bien en dialogue avec la bande dessinée, éclairant des passages obscurs, venant confronter les récits d’une femme qui, quels que soient les mensonges, méritait clairement d’être une légende.

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