Il ne fait pas bon grandir dans ce monde en ruines. Car quitter l’adolescence pour l’âge adulte signifie disparaître, pour de bon. Surveillées et approvisionnées depuis toujours par de fantomatiques « Étrangers », des bandes d’ados survivent donc dans une jungle urbaine en perdition, chacune suivant ses propres règles ou son propre culte, dans un territoire grand comme un quartier. Mais certains, comme la jeune rebelle Sid – dont le ventre s’arrondit sans qu’elle sache de quoi il retourne –, pensent qu’il y a autre chose, une autre vie possible, aux confins de la ville.

Dans les deux premiers volumes, sur trois, le scénariste américain Matthew Rosenberg ne s’embarrasse pas d’expliquer les origines et les enjeux de son monde post-apocalyptique. Tant pis pour les lecteurs cartésiens qui aiment qu’on leur détaille les fondements d’un univers : ici, seuls comptent le chemin des personnages, leurs découvertes gores, leurs relations maladroites, leurs décisions stupides. Et les bagarres régulières entre clans, au fil d’un road movie pédestre dans une sorte de parc d’attractions pour fous sanguinaires. L’énergie punk des protagonistes innerve ainsi toute la BD, qui explose en de multiples pistes, à la fois quête d’un trésor, récit d’apprentissage, nouvelle horrifique, fable caustique d’un futur en décomposition. Le dessin électrique, âpre, rageur de Tyler Boss y répond parfaitement, tant dans son aspect vintage intemporel que dans ses couleurs saturées volontairement salies. Une vraie bonne surprise pour amateurs de fictions de genre, mal servie par des couvertures d’une froideur peu engageante : si vous aimez être secoués dans une histoire inconfortable et assez ahurissante, poussez la porte de cette étrange demeure, vous ferez un voyage inédit.

Traduction : Annick Evrard