Pas simple de revenir sur l’histoire de Charlie Hebdo après l’atroce attentat qui décima sa rédaction, et l’élan de solidarité qui a suivi. Mais le temps a passé, et replonger dans les années où Philippe Val en était le chef d’orchestre semble aujourd’hui tout à fait pertinent. C’est l’objet de cet album coup de poing, sorte de docu-fiction à charge contre le glissement idéologique d’un journal au service des intérêts politiques et carriéristes de quelques-uns.

Ici, les personnages portent tous des pseudos mais transparents, et leur caricature sous la plume d’Alex Baladi les rend tout à fait reconnaissables. On croise ainsi les pionniers Cabu, Choron, Cavanna, Wolinksi, puis Charb ou Luz, mais c’est bien Philippe Val qui est l’anti-héros de cette saga. Ou comment un chansonnier vaguement gauchiste s’intègre dans un journal satirique mordant, et profite de sa mauvaise santé financière pour se l’approprier. Bien sûr, le récit rappelle que Val a remis à flot un titre surendetté et qu’il a participé de la dénonciation des atteintes à la liberté d’expression par les mouvances et régimes islamistes. Mais il met en relief aussi, et c’est le coeur de sa thèse, qu’il s’est laissé aller à des dérives islamophobes – sous couvert de satire – à la fois pour faire tourner la machine à cash, pour se mettre dans la poche certains milieux politiques et intellectuels parisiens, et pour forger sa carrière d’après. « Fer de lance de la nouvelle réaction », indique même la 4e de couverture pour qualifier la version Val et de ses suivants (Charb, Riss…) de Charlie ! Effectivement, c’est qui ressort du livre, fort bien documenté et rythmé, qui laisse un goût amer à ceux qui s’étaient proclamé spontanément « Charlie » au lendemain des assassinats.

Toutefois, Chacal Hebdo manque un peu de nuances et de confrontations de points de vue, notamment la voix de certains acteurs et témoins de l’époque, qui auraient pu avoir une vision différente des choses. Mais ce n’est pas une BD documentaire : la voix choisie (le style caricatural enrobant les infos solides) rappelle évidemment les grandes heures de Charlie, et c’est donc pertinent. Compte tenu du sujet et l’inspiration graphique initiale, la radicalité était de mise, avec les écueils qu’elle comporte.