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BoDoï, explorateur de bandes dessinées – Infos BD, comics, mangas | April 20, 2024















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24 Comments

Dans l’atelier des Kerascoët

5 janvier 2009 |

kerascoet_intro.jpgIls sont deux à mélanger leurs coups de crayon pour nous offrir dans Miss Pas Touche (une série écrite par Hubert) les piquantes aventures d’une vierge échouée dans un bordel, afin de venger sa sœur assassinée. Plus intrigant encore nous semblait leur one-shot Jolies ténèbres, à paraître en mars. Le duo Kerascoët – composé de Sébastien Cosset, 33 ans, et de Marie Pommepuy, 30 ans – livre régulièrement de ce nouvel opus quelques esquisses sur son site. De quoi nous allécher suffisamment pour harceler le service de presse de Dupuis et obtenir en avant-avant-première les « épreuves » (sur papier non relié ou en format numérique) de l’album.

Lequel se révéla à la hauteur de nos attentes. Des ambiances bucoliques et charmantes, bientôt glaçantes, des personnages mignons et absurdes, qui passent de la drôlerie à la cruauté en un claquement de doigt, et une naïveté fraîche qui, par contraste avec les situations représentées, parvient à créer le malaise. jolies_tenebres_corps2.jpgCo-écrite par Fabien Vehlmann, l’histoire se révèle à la fois originale, intelligente et onirique. Nous reviendrons sur Jolies ténèbres au moment de sa sortie. Mais l’arrivée prochaine de cette gourmandise graphique fut l’occasion rêvée d’aller explorer l’antre des Kerascoët.

Peu avant Noël, ils nous accueillent dans leur atelier-logis parisien. Un endroit clair et chaleureux, à la fois cosy et design. Dont le couple a hésité à nous ouvrir les portes, par crainte de trop s’exposer. Tous deux en jeans, accordant à peine un regard à la chatte blanche et marron qui saute d’un meuble à l’autre, ils se donnent la réplique sans timidité, en se chamaillant même un peu. Marie Pommepuy – dont les yeux de biche innocents ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux de l’héroïne de Jolies ténèbres – se demande si elle n’en dit pas trop. « On n’est pas en train de tout décortiquer, là ? », lance-t-elle à son collègue. Avant de traquer la phrase prétentieuse ou passe-partout, interrompant Sébastien Cosset : « Ce que tu dis, là, n’importe qui peut le dire de n’importe quoi ! » Deux créateurs exigeants et attachants, somme toute, issus de l’illustration et qui se sont essayé à l’animation (Petit Vampire de Joann Sfar), ont tâté de la fantasy débridée (Donjon Crépuscule), puis ont creusé leur sillon, bien particulier.

Jolies ténèbres

Marie Pommepuy : « J’ai eu envie d’un projet plus personnel vers 2004. Je me suis mise à prendre des notes, sans montrer mes recherches à Sébastien.

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J’avais envie de confronter à un cadre réaliste des héros imaginaires. Dont on ne sait jamais ce qu’ils sont au juste : des fées, des émanations de leur «hôte» ? Après, le reste de l’intrigue était flou. Ma tête était pleine de scènes visuelles, mais les protagonistes n’avaient pas de consistance.

Et puis j’ai été bloquée, perdue dans mes notes. Impossible d’écrire les dialogues, je n’arrivais à penser qu’en dessins. J’en ai parlé autour de moi, et Fabien Vehlmann a beaucoup rebondi sur le projet, sans pour autant dénaturer mes idées. Il a joué avec moi le rôle d’un « accoucheur », a apporté à l’ensemble une dramaturgie, un ton. Et aussi un humour grinçant, assez pervers, qui crée un malaise chez le lecteur – par exemple lorsqu’il rigole en voyant un personnage mourir.

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Dans cet album, on retrouve des ingrédients connus : un personnage proche de l’héroïne d’Alice au pays des merveilles, un crapaud, un prince… Chez Dupuis, son univers a été comparé à celui de Tim Burton. Or je ne suis pas complètement d’accord avec cela. Burton crée des mondes glauques dotés d’une imagerie gothique, mais où les bons sentiments abondent – sauf dans Sweeney Todd. Notre démarche suit un sens inverse : nous installons des propos très sombres dans un cadre enfantin, mignon. J’ai même essayé d’ajouter à Jolies ténèbres une pincée de David Lynch, un côté bizarre et crado, parfois inexpliqué.

Gamine, j’adorais être à quatre pattes dans l’herbe et regarder les insectes. J’ai grandi à Kerascoët, en Bretagne, où je n’avais pas la télé. Pour cet album, je me suis replongée dans mes lectures d’enfance : Beatrix Potter, Tom Pouce, La Petite Poucette, Gulliver, Nils Holgersson, les livres de l’illustratrice américaine Gyo Fujikawa… »

jolies_tenebres_7_Alice.jpg jolies_tenebres_5.jpg jolies_tenebres_6.jpg jolies_tenebres_alice.jpg jolies_tenebres_ 10_cabane du geant.jpg

Miss Pas Touche

« Nous sommes en train d’en dessiner le quatrième épisode. Une rencontre avec le scénariste Hubert, via des amis communs, est à la base de cette série. Il nous avait proposé un autre scénario que nous avions mis en images. Mais les éditeurs voulaient publier soit l’histoire sans nos planches, soit notre dessin illustrant un autre récit. Et puis Miss Pas Touche est arrivée. Hubert avait dans ses tiroirs un personnage de vierge instinctive, tandis que nous avions envie d’un polar : nous avons mixé ces deux éléments. miss_pas_touche_4_p3.jpgTravailler avec Hubert est très agréable, c’est un bosseur au caractère facile, qui accepte de discuter du scénario et ne se vexe pas. Et puis nous travaillons tous trois sur le même rythme, ce qui évite que nous nous attendions mutuellement.»

Leur technique

« Nous rebondissons chacun sur le trait de l’autre, sans méthode particulière. Il s’agit d’une espèce de ping-pong, nous nous renvoyons constamment la balle. Travailler ensemble permet à chacun d’aller plus loin dans son dessin. Au final, le résultat est moins figé, plus abouti. Nous partons parfois dans des directions différentes, et, à d’autres moments, nous creusons dans le même sens. Un pseudonyme commun évite que l’on sache exactement qui a fait quoi. Et puis demanderiez-vous à des parents d’où vient le nez ou les yeux de leur enfant ? Ce qui compte, c’est qu’il soit bien élevé !

Il arrive que l’on se dise de façon un peu trop franche que l’on n’aime pas ce que l’autre a fait. Mais nous tentons de manière générale d’éviter les problèmes d’ego. De toute façon, nous n’arrivons plus à démêler nos traits quelques années plus tard ! Cela va sembler naïf, mais nous tentons de nous mettre au service d’un projet. L’important, c’est de faire un beau livre. »

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Leurs parcours

Marie Pommepuy : « J’ai toujours dessiné, mais sans vocation particulière – tandis que mon grand frère, lui, voulait être dessinateur de bandes dessinées. J’ai fait des études de communication visuelle aux Arts appliqués, mais tout le monde y avait le même socle culturel. Je voulais faire autre chose, si possible qui soit un peu borderline. jolies_tenebres_8.jpgJ’ai donc suivi pendant deux ans une spécialisation en illustration scientifique et médicale. Nous étions cinq élèves pour dix-sept profs, et nous avions des cours d’anatomie en commun avec les étudiants en médecine. Cela m’intriguait et me semblait le meilleur moyen d’apprendre à dessiner. Mais, quand il s’est agi de démarcher les laboratoires pharmaceutiques pour trouver du travail, j’ai tout de suite senti que ce n’était pas mon truc, et j’ai laissé tomber.

J’ai rencontré Sébastien à la sortie des Arts appliqués. Il était un peu plus vieux que moi, nous n’étions pas dans la même promo. Notre collaboration n’a pas été calculée, tout est venu très naturellement. Il faut dire que nous vivions en couple dans un appartement de 15m2, avec un seul bureau à se partager… Nous avons fait de l’illustration ensemble, et Kerascoët est né en 2000, pour signer l’album consacré à Anita O’Day chez Nocturne.»

Sébastien Cosset : « Je dessine depuis l’enfance. Je lisais alors des classiques comme Astérix, Tintin, Lucky Luke, Gaston Lagaffe… Petit garçon, je passais des heures dans la lune et à gribouiller sur des cahiers. Ma mère avait peur que je sois anormal, je lui paraissais trop calme ! Quand il a fallu choisir une filière, je n’ai pas voulu faire d’école de bande dessinée, je ne souhaitais pas qu’on m’inculque des codes prédéfinis, je souhaitais les découvrir par moi-même. J’ai opté pour une formation plus large, avec du dessin de nu, de la sculpture… J’ai ensuite fait un peu de BD réaliste [Res Punica, Rogon Le Leu] de mon côté, pour faire mes classes. »

Leurs projets

reine_beaute_petit.jpg« Nous travaillons avec Hubert sur Reine Beauté, un conte bâti autour d’une jeune fille recevant le don de la beauté. Notre graphisme sera différent, plus plat, stylisé, tendant vers l’estampe, avec des motifs et des perspectives cavalières. Mais ce n’est pas encore signé. Nous avons également un projet avec Fabien Vehlmann. Mais étant donné son agenda surchargé, nous ne nous y mettrons pas avant un an ou deux… »

Marie Pommepuy : « De mon côté, je planche sur un scénario que j’aimerais écrire toute seule cette fois, mais que nous dessinerions ensemble avec Sébastien. Je suis en train de prendre des notes, mais pour l’instant il n’a rien vu. »

Et à part la BD ?

Sébastien Cosset : « Je bouquine beaucoup, je suis inarrêtable ! J’aime les polars, la bonne science-fiction, et suis un gros fan de Dan Simmons. Sans être un nerd, je suis aussi amateur de jeux vidéo. Ce médium a beaucoup évolué en quelques années : certains jeux s’apparentent aujourd’hui à de petits films d’animation de qualité, au scénario très bien ficelé, avec l’interactivité en plus. »

jolies_tenebres_ alice trainant un herisson.jpg

Marie Pommepuy : « Je suis venue à Paris pour pouvoir aller plus souvent au cinéma. Je ne suis pas cinéphile, mais véritablement boulimique de films. Je privilégie la quantité mais ensuite, dans ma tête, tout se mélange… Avant, je fréquentais les salles obscures deux à trois fois par semaine. Maintenant, on préfère les séances DVD avec les copains, à la maison. Sinon, j’adore explorer le web : je m’inscris à des tas de flux RSS, je chine des illustrations et des photos. Je range tout dans des dossiers, selon un classement précis. Pour me détendre, je fais des plannings et je découpe des visages dans des magazines, que je range dans des trombinoscopes thématiques. Oui, je suis maniaque ! »

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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Images © Kerascoët et Dupuis. Photos © BoDoï. Merci aux Kerascoët pour l’utilisation consentie des images postées sur leur site.

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Jolies Ténèbres.
Par Kerascoët et Fabien Vehlmann.
Dupuis, sortie prévue en mars 2009.

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Commentaires

  1. Isa

    Génial cette interview, j’ai hate de voir la suite de leur production !!!

  2. Isa

    Génial cette interview, j’ai hate de voir la suite de leur production !!!

  3. Bartok

    Oui, j’ai hâte de voir ce nouvel album! Les kerascoët sont vraiment top.

  4. Bartok

    Oui, j’ai hâte de voir ce nouvel album! Les kerascoët sont vraiment top.

  5. Oliv'

    Merci pour cette interview et pour nous avoir fait partager un bref instant leur univers. Vivement mars pour lire cette nouvelle histoire.

  6. Oliv'

    Merci pour cette interview et pour nous avoir fait partager un bref instant leur univers. Vivement mars pour lire cette nouvelle histoire.

  7. Mamig

    si cruel et si frais
    un petit air de « Sa magesté des mouches » révisité à la sauce Kérascoet
    un vrai bonheur

  8. Mamig

    si cruel et si frais
    un petit air de « Sa magesté des mouches » révisité à la sauce Kérascoet
    un vrai bonheur

  9. Gwen

    Belle interview. C’est un peu une aventure de pénétrer dans l’antre des créateur. Intimidants et envoûtant! Belle simplicité et bel univers graphique. J’ai hâte de dévorer leurs toutes nouvelles « bulles »!

  10. Gwen

    Belle interview. C’est un peu une aventure de pénétrer dans l’antre des créateur. Intimidants et envoûtant! Belle simplicité et bel univers graphique. J’ai hâte de dévorer leurs toutes nouvelles « bulles »!

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