Après l’impressionnant René.e aux bois dormants, Elene Usdin revient avec un nouveau volumineux ouvrage sur les failles de l’histoire du continent américain. Écrit avec son fils, l’artiste multidisciplinaire Boni, Detroit Roma se distingue du précédente projet par un scénario moins cérébral et allégorique, mais pas moins fascinant. On y suit deux jeunes femmes en quête de vérité et d’un peu d’air frais dans un quotidien bien trop lourd. D’une part, Becki, jeune afro-américaine pauvre, soutenant son père alcoolique, et ressassant le souvenir de sa grand-mère, victime des eaux empoisonnées du Michigan. De l’autre, Summer, grande ado pourrie gâtée, anorexique et borderline. Ensemble, elles vont prendre la route du Sud, sur la trace des anciens esclaves et d’un passé familial trouble.

À travers un scénario savamment construit, en aller-retour dans le temps et dans l’itinéraire des deux héroïnes, ainsi qu’entre des images iconiques du cinéma américain, des visions oniriques voire cauchemardesques du pays et des dessins plus réalistes des populations, Detroit Roma tisse l’aventure intime et douloureuse de deux jeunes femmes perdues. En quête de repères dans une généalogie perturbée, elles tentent de fuir les violences – sexuelles, raciales, sociales – dont elles sont victimes, et de trouver la voie pour se connaître elles-mêmes et de s’accomplir par elles-mêmes. Pas simple dans une ville comme Detroit, désertée de son industrie automobile et de sa vitalité, proie facile pour promoteurs sans scrupules et politiques opportunistes. Encore plus dur dans un pays forgé dans l’argent et un imaginaire clinquant, mais aussi dans le sang des esclaves et dans l’exploitation des populations déshéritées et racisées. Page après page, ou plutôt tableau après tableau au sein de ce splendide ouvrage à l’italienne XXL, les peintures d’Elene Usdin et les croquis de Boni donnent corps à cette odyssée pas épique mais fascinante de bout en bout, comme une chronique mi-funèbre mi-lumineuse d’un Occident blessé. Detroit Roma est ainsi à la fois un récit intime et politique extrêmement abouti, et une expérience de lecture d’une grande originalité. Un must de 2025, donc.