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BoDoï, explorateur de bandes dessinées – Infos BD, comics, mangas | May 19, 2024















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Hai-Anh et Pauline Guitton dans le maquis vietnamien

6 mai 2024 |

Dans cette première bande dessinée autobiographie, Hài-Anh, Parisienne d’origine vietnamienne à l’aube de la trentaine, questionne sa mère, Việt Linh, sur son adolescence maquisarde. Cette dernière a vécu de 1969 à 1975 auprès de son père au sein d’un groupe de révolutionnaires communistes, en pleine guerre contre les Américains. Elle s’y est formée à la lutte… mais aussi au cinéma, devenu par la suite son métier. Dans Sống, le récit de guerre se mêle au portrait intime, et nous plonge peu à peu au cœur d’une relation entre une fille et sa mère, et de l’exploration de leurs racines. L’illustratrice, storyboardeuse et animatrice Pauline Guitton, amie d’enfance de Hài-Anh, a mis en image ce récit sensible et fascinant. Les deux co-autrices, qui viennent de recevoir le Prix du Jury œcuménique de la BD 2024, ont détaillé pour BoDoï l’élaboration de ce livre. 

Capture d’écran 2024-01-22 à 11.05.46Comment est né ce récit autobiographique ?

Hài-Anh : Avec Pauline, on se connaît depuis dix ans. Elle a toujours dessiné, je la regardais faire, puis on a lu les mêmes BD, on a partagé nos mangas… On a toujours su qu’on ferait des projets ensemble. En 2018, alors que je faisais des études de cinéma et que Pauline était aux Gobelins, j’ai eu l’idée, après voir relu Maus d’Art Spiegelman, et Persepolis de Marjane Satrapi, de raconter l’histoire de ma famille. Pauline a été enthousiaste dès que je lui en ai parlé. Ma mère était plus hésitante : elle ne lit pas de BD, le médium ne lui apparaissait pas très sérieux…

Pauline Guitton : Il me semblait intéressant de rassembler ces récits que Hài-Anh entendait sa mère lui raconter depuis l’enfance, et qui différent du point de vue transmis par les œuvres américaines sur le Vietnam, par exemple. Puis le projet a porté de plus en plus sur la question double culture, sur la relation mère-fille, le fait d’être une femme… Des sujets universels, sur lesquels je pouvais me projeter.

« « Sống », ce ne sont pas que des souvenirs, mais aussi un lien qui se recrée entre une mère et sa fille. »

Pourquoi avoir choisi la bande dessinée pour raconter cette histoire de famille ?

H-A. : J’entends des récits de guerre depuis toujours, et j’avais envie d’en garder la trace. Mais je n’aime pas les films de guerre… On était certaines que la bande dessinée nous correspondait mieux.

P. G. : Elle fonctionne bien pour un témoignage familial, intimiste, comme celui-ci. Le dessin nous permet de nous réapproprier le récit. On aurait pu envisager aussi l’animation, mais il est beaucoup plus difficile, et long, de produire un film.

Capture d’écran 2024-01-22 à 11.06.25Comment avez-vous recueilli les souvenirs de votre mère ?

H-A. : J’ai commencé par réaliser des entretiens avec elle, au Vietnam, puis quand elle est venue en France, entre 2018 et 2020. J’ai découvert des choses sur elle qui nous ont étonnées ! Puis l’histoire s’est élargie.

P. G. : Le récit, comme leur relation, ont évolué au fur et à mesure des entretiens. Ça se ressent dans l’ouvrage, et c’était très touchant à mettre en scène : ce ne sont pas que des souvenirs, mais aussi un lien qui se recrée entre une mère et sa fille.

De quelle manière avez-vous ensuite transposé ces souvenirs en image ?

H-A. : À l’issue des entretiens, c’était un peu rédigé, sous forme de dialogues – j’avais lu beaucoup de scénarios de films. Les descriptions étaient sommaires, on donnait carte blanche à Pauline.

P. G. : J’avais l’équivalent d’un script de film, avec des mentions sur la temporalité ou le lieu. Pendant trois mois, j’ai travaillé à partir de ce storyboard. Il y a eu beaucoup d’allers-retours, il fallait modifier du texte, raccourcir, retirer des choses…

« La guerre du Vietnam est une période historique parcourue d’expériences variées. Chaque personne de chaque famille a son vécu spécifique. »

La guerre n’est pas du tout au premier plan du récit  – c’est davantage la vie quotidienne du maquis qui nous occupe…

song_interieur-93_copie-4fb48H-A. : Cela fait partie des choses que j’ai apprises avec ce projet ; quand j’étais petite, ma mère faisait des raccourcis entre le maquis et la guerre, j’imaginais qu’elle s’était fait tirer dessus… En fait, elle était dans les services centraux, l’administration du maquis. Ce que je raconte dans l’album est ce qu’elle m’a confié, et donc la vie de maquisarde ressort davantage, les émotions prennent le dessus. En cherchant un côté plus épique, je lui ai demandé ce qui l’avait le plus marquée… Et elle m’a parlé de ses règles.

P. G. : Même inconsciemment, ce n’était pas tellement de la guerre dont on voulait parler. Ce n’est pas un documentaire, c’est une histoire de gens.

H-A. : La guerre est une période historique parcourue d’expériences variées. Chaque personne de chaque famille a son vécu spécifique. Les Vietnamiens en sont très conscients : il y a plusieurs camps, plusieurs vocabulaires, plusieurs perception d’un même événement… Ma génération essaye de tous les respecter.

Comment avez-vous choisi les anecdotes que vous alliez raconter ?

H-A. : J’ai fait une sélection, il y a des choses qui sont parties parce qu’elles n’avaient pas leur place, d’autres sur lesquelles je me suis autocensurée pour des raisons personnelles. Le regard de Pauline, qui était la première lectrice, était précieux, car on est parfois attaché à des idées qui ne fonctionnent pas.

Les décors et les détails du quotidien ont-ils nécessité beaucoup de recherches ?

P. G. : J’avais des images du documentaire réalisé par le grand père d’Hài-Anh, et les explications de sa mère. J’ai aussi utilisé des images militaires, il y a pas mal de documentation faite par les soldats français en Indochine. Et une partie du maquis a été reconstitué au Vietnam. Mais tout ça m’inquiétait un peu, j’ai beaucoup fait vérifier ou préciser des choses à Linh.

H-A. : Elle nous envoyait des références, des croquis… Mais pour le four, par exemple, on a regardé sur internet, certaines choses sont bien documentées.

Song Couv
Pauline, de quelle manière avez-vous travaillé la couleur ?

P. G. : Je me suis imposée d’utiliser des palettes limitées, pour me simplifier la tâche. Il fallait aussi retrouver les ambiances spécifiques en fonction des temporalités. On s’est posé la question d’un langage graphique pour différencier le présent du passé… Mais ça complique la lecture. C’est donc à la mise en couleur que j’ai varié les palettes. Je me suis inspirée de vieilles photos pour la patine du passé, et de mes propres photos pour la partie présente. J’ai ajouté des textures, des couleurs qui m’évoquent les ambiances du Vietnam, mais il fallait que ça reste simple, car il y a des détails dans le décor. J’ai aussi beaucoup regardé des peintures vietnamiennes.

Hài-Anh, vous vivez désormais au Vietnam, à quoi y ressemble le secteur de la BD aujourd’hui ?

H-A. : Ce qui s’y vend le plus, ce sont les mangas japonais. Ceux qui sont nés dans les années 1980 ont grandi avec Doraemon, et encore maintenant, on me cite surtout des mangas. Il y a eu de la BD de presse, mais pas d’ouvrages. Mais petit à petit, des BD et romans graphiques étrangers sont traduits en vietnamien.

Propos recueillis par Mathilde Loire

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Sống.
Par Hài-Anh et Pauline Guitton.
Ankama, 24,90 €, janvier 2023.

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