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Sélection Comics – Coda

18 novembre 2020 |

coda-couvElfes, orques, sorciers… Depuis Tolkien, on a l’impression que la fantasy a du mal à tuer le père. Coda, monumentale épopée signée Simon Spurrier et Matias Bergara, ne se pose pas de question et brutalise sans atermoiement l’héritage du créateur du Seigneur des Anneaux pour mieux lui rendre hommage. Avec (mauvais) esprit et virtuosité, quelque part entre le Donjon de Sfar et Trondheim et La Quête de l’Oiseau du temps de Le Tendre et Loisel. La sélection Comics de Bodoï rejoint la sélection officielle d’Angoulême pour en saluer la parution en français chez Glénat.

Il était une fois un barde monté sur une licorne prêt à tous les exploits pour délivrer sa bien-aimée prisonnière d’affreux seigneurs maléfiques. Bon en vrai, Hum, le héros de Coda, serait du genre à chaparder son butin plutôt qu’à le conquérir par de hauts faits. Son épouse, Serka, est tout sauf une demoiselle en détresse, en l’occurrence une féroce guerrière qu’il vaut mieux ne pas contrarier, et sa licorne, pour être précis une « pentacorne » nommée la Carne, est une bourrique terrifiante qui ne s’exprime que par grossièretés (bipées). Bref, elle est loin, très loin, la Terre du Milieu chère à J.R.R. Tolkien…

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Dans leur saga développée sur plus de 300 pages, Simon Spurrier et Matias Bergara s’emparent avec une réjouissante impertinence de toutes les figures imposées du médiéval-fantastique pour mieux les subvertir. Ici les sirènes portent le fédora et marinent dans une baignoire, et les archimages sont des poivrots qui tirent de leur bouteille de « vert » de la magie sous forme liquide, pour créer des sorts d’illusion destinés avant tout à masquer leur propre déchéance.

coda-lettresC’est à la fois très drôle et profondément triste. La veine purement parodique à la Terry Pratchett (les Annales du Disque-Monde) ou Lanfeust qu’on croit d’abord déceler dans les gags, les jurons et les couleurs vives est une fausse piste. On est en fait beaucoup plus proche dans l’esprit, d’un Donjon, l’hydre à 1000 têtes de Sfar et Trondheim, période Crépuscule. Dans Coda, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient, et la déliquescence, omniprésente. Cet univers de fantasy n’a plus grand-chose d’heroic, depuis que la magie y est portée quasi-disparue, ses dernières résurgences attisant désormais l’avidité de tous, comme l’essence dans le monde post-apocalyptique de Mad Max. À l’image de Hum, personnage insaisissable, sincèrement animé de nobles idéaux mais contraint pour tracer son chemin, de voler, mentir, ruser, trahir en permanence.

Simon Spurrier cale le rythme de la narration sur celui de son barde, faussement nonchalant, trompeusement erratique, pour mieux bousculer le lecteur dans ses habitudes quant à un genre trop souvent sur des rails. Coda surprend constamment, jamais là où on l’attend, très punk dans sa manière d’envoyer régulièrement valdinguer décor, personnages et avec eux, le récit, d’un deus ex machina rageur (généralement affublé de sabots, d’une crinière et de cinq cornes).

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Publiée aux États-Unis par Boom ! Studios, cette série-là refuse de rester dans les clous de la production US mainstream et penche clairement plus du côté de la BD européenne et ses incontournables du genre, des Légendes des contrées oubliées aux Chroniques de la Lune noire en passant évidemment par La Quête de l’Oiseau du temps. On ne s’étonnera pas outre-mesure de ce tropisme franco-belge de la part d’un scénariste britannique, mais la filiation est également perceptible dans le dessin Matias Bergara, dont l’influence d’un Comès ou d’un Loisel se lit jusque dans les choix de costumes. coda-carneLe travail de l’Urugayen est prodigieux, là encore faussement chaotique quand il met en place de manière très méthodique chaque brique du génial univers de Coda. Chaque case mérite d’être explorée en détail pour y relever les mille trouvailles disséminées, notamment dans les pleines pages qui donnent à voir la démesure des décors (cette ville tirée par un géant !) ou l’ampleur dantesque des batailles.

Glénat a eu ô combien raison de rassembler les douze chapitres de Coda en une intégrale qui fait honneur à la cohérence de cette œuvre qui – et c’est là que Spurrier et Bergara prouvent qu’ils ont parfaitement digéré Tolkien – a l’intelligence de s’intéresser, par-delà les aventures homériques, avant tout à la trajectoire personnelle de ses personnages principaux. Recherche d’artefacts magiques et seigneurs des abîmes (les Saurons locaux) à trucider sont certes au programme, mais la vraie quête, ce mot qu’exècre tant Hum, c’est celle qui mènera le barde taciturne et sa chérie barbare au cœur pur sur le chemin de la paix intérieure. Pour paraphraser la Carne, mine de rien, une pµ§@!n de réussite ! Et un probable nouveau classique du genre, en compétition au prochain Festival d’Angoulême.

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Coda.
Par Simon Spurrier et Matias Bergara.
Glénat Comics, 336 p., 29,95 €, 2020.

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