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Tom Gauld: «L’humour est une façon de surprendre les gens»

13 février 2017 |

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Photo © Christophe Urbain

Auteur attitré d’illustrations pour le New scientist et bien sûr le Guardian, Tom Gauld est reconnaissable à son trait simple, sa palette de couleurs minimaliste et son humour qui oscille entre l’absurde et le subtil. Un premier recueil de ses strips pour le Guardian, Vous êtes tous jaloux de mon jetpack, a été publié en 2014 aux éditions 2024. Il vient de publier  chez le même éditeur un nouveau roman graphique, Police lunaire, sélectionné au festival d’Angoulême. A cette occasion, il a accordé à BoDoi une interview pour évoquer son travail.


Dans vos strips, vous parlez de sujets aussi vastes que la science ou la littérature. Comment faites-vous pour être créatif sur autant de thèmes différents?

Ce qui me rend créatif est de devoir aborder de nombreux sujets. Le Guardian me donne chaque semaine un thème très général sur lequel doit porter mon strip. Si c’est un sujet que je n’aurais pas choisi autrement, imaginons, Jane Austen par exemple, cela ouvre à mon cerveau de nouveaux horizons. J’aime le fait ne pas avoir d’autre choix que de rendre mon illustration chaque mercredi, quel que soit le thème choisi. Et parfois, c’est horrible parce que je ne parviens pas à présenter un dessin dont je sois satisfait, mais le plus souvent, je fais quelque chose d’inattendu, une chose à laquelle je n’aurais pas pensé autrement. J’aime beaucoup cet aspect-là. Pour le New Scientist, je ne sais pas tant de choses sur la science, mais cela m’intéresse, et c’était une bonne raison pour m’y pencher de plus près.

Peut-être ce regard frais est-il un atout pour être drôle?

Oui, c’est vrai. Après, vous savez, il existe des astuces et des outils pour rendre les choses drôles. Des trucs que vous pouvez les appliquer à n’importe quel thème.

TOMGAULDSTRIP3Comme quoi ?

Un des trucs, c’est de chercher l’exact opposé de quelque chose. Par exemple, si je dois faire un strip pour le Guardian sur un auteur ultra classique, il se peut que je me dise, plutôt qu’imaginer ce personnage dans ce monde-là, imaginons-le dans un jeu vidéo. Ou si c’est à propos d’un livre très drôle, en imaginer une version très sérieuse. Regarder à l’opposé de quelque chose est une façon d’y trouver de l’humour. Je suppose que l’humour, au fond, est une façon de surprendre les gens. Je cherche donc à trouver de nouvelles façons de regarder ces choses.

Est-ce difficile de trouver de l’inspiration chaque semaine? Est-ce que vous avez des rituels de lecture, de musée…?

J’ai fait plus de cinq cent strips pour le Guardian et le New scientist. Certains jours, je regarde ma feuille blanche et je me dis : je l’ai fait cinq cent fois déjà, cela ne devrait pas être si difficile, je devrais avoir appris à le faire. Mais peut-être que si j’apprenais à le faire, ce serait moins intéressant. Parfois, une idée sort de nulle part, ou d’une autre œuvre que je suis en train de regarder, ou de mon quotidien. Je l’inscris dans mon carnet, où je garde plein d’idées. Certaines semaines, je me rends compte que le thème demandé par le Guardian correspond à une idée que j’ai eu six mois auparavant. C’est un sentiment très agréable! Si cela n’arrive pas, je reste là assis, je regarde mon carnet, je marche un peu, je vais dans un café, et je dessine dans mon carnet. Je n’ai pas énormément de temps pour faire ces strips, alors aller au musée pour pouvoir les faire serait un peu du luxe!

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Vous avez adopté ce style minimaliste, avec une palette de couleurs réduite, dès le début de votre carrière. Comment êtes-vous parvenu à ce style?

Quand j’étudiais, j’essayais de trouver mon style. Et je crois que j’ai vraiment trouvé le style d’aujourd’hui quand j’ai arrêté de chercher. Je me concentrais tellement  sur les histoires et les blagues pour être compris du lecteur que j’ai arrêté de penser comme un illustrateur, de me demander comment je pouvais le rendre mon travail plus beau. J’ai donc recommencé à dessiner comme quand on gribouille sur son téléphone, presque comme quand j’étais enfant. Et je me suis rendu compte que j’aimais la simplicité. Je trouve que les images simples sont agréables à regarder. Mais je ne veux pas qu’elles soient mécaniques, froides. C’est pour cela que je les dessine toujours à la main.

Vous n’aimez pas utiliser l’ordinateur?

J’utilise l’ordinateur pour mettre en couleur ou retoucher les images. Mais je ne pense pas bien devant l’ordinateur. Je pense mieux devant un carnet de croquis ou une feuille de papier. Une fois que le travail est dans l’ordinateur, j’ai l’impression qu’il est derrière une vitre, et que je ne peux plus le contrôler. Sur le papier devant moi, c’est plus à moi, plus humain.

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Vous êtes très présent sur les réseaux sociaux, et en même temps vous vous en moquez beaucoup dans vos strips. Comment voyez-vous cet outil?

Les réseaux sociaux ont vraiment été une bonne chose pour moi. C’est amusant de voir que les strips que je dessinais déjà avant que Twitter n’existe ont l’air d’avoir été inventés pour ce format. Je pense que ces cartoons sont vraiment bons pour les réseaux, ils sont assez courts pour être appréciés dans cet espace-là. S’ils étaient plus longs, il faudrait faire plus d’efforts. J’aime ça, et ça a été très bon pour ma carrière, que les gens aient envie de les partager. Avant, j’envoyais mon strip au Guardian, ils imprimaient, et une ou deux fois par an je recevais un mail d’un lecteur qui avait aimé un dessin. Mais c’était un peu comme envoyer mon dessin dans un trou et recommencer ensuite. Là, cela va sur les réseaux, et je trouve intéressant que ça déclenche des discussions, même si les gens sont énervés.

Enfant, vous dites que vous lisiez beaucoup Tintin et Astérix. Vous sentez-vous particulièrement à l’aise en France, est-ce une culture que vous aimez?

J’aime beaucoup la BD française. Je peux pas lire le français facilement, mais j’arrive à déchiffrer un peu, et je lis des traductions. Je pense que mon travail a été influencé à la fois par la BD européenne et la BD américaine.

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Quels auteurs français vous ont le plus influencé?

Il y a donc eu Tintin et Astérix dans ma jeunesse. Quand j’ai commencé ma carrière, j’ai découvert David B. et des gens comme ça, en même temps que les Américains Chris Ware et Dan Clowes. Ils ont tous influencé mon travail. Je trouve évidemment que Lewis Trondheim est un incroyable dessinateur, et j’aime le travail de Jochen Gerner.

Vous venez du publier Police lunaire, un nouveau roman graphique. Vous avez évoqué le fait qu’il soit assez court. Le fait de travailler chaque jour sur des illustrations courtes rend-il plus difficile d’imaginer des histoires plus longues?

Je trouve parfois difficile de savoir ce que je veux dire. Et quand on fait de courts strips, même si on ne sait pas exactement ce qu’on veut dire, on peut faire un petit quelque chose de drôle. Mais si on met un livre entier devant quelqu’un, en espérant qu’il l’achète, il faut quelque chose de plus qu’un moment d’intérêt. J’aimerais bien écrire un roman graphique de 500 pages, mais jusque là je n’ai pas eu d’idée qui en exige autant. J’aimerais bien que ça arrive, mais d’un autre côté, j’aime les choses simples. Je n’aime pas les fioritures. À un moment, Police lunaire était un peu plus long, j’ai enlevé ce que je n’aimais pas et il est redevenu plus court.

C’est facile de couper son propre travail?

Non, mais en tant qu’auteur, j’aime bien laisser le lecteur comprendre les choses par lui-même. En tant que lecteur, j’aime beaucoup quand, d’une case à l’autre, il faut comprendre ce qu’il s’est passé. Ces ellipses sont agréables pour le cerveau. Moi, j’aime faire de grandes ellipses, parce que je trouve ça agréable. Mais cela donne des livres plus courts.

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Police lunaire dépeint en quelque sorte le futur tel qu’on le voyait dans les années 80. Cet univers, ainsi que les robots, semblent vous fasciner. Pourquoi?

En tant qu’enfant qui a grandi au début des années 80, j’ai été marqué par Star Wars et les petits robots rigolos, comme R2D2. Ces robots ne marchaient pas toujours et parfois étaient même un peu casse-pied. Dans cet univers, ils étaient aussi tout à fait ordinaires, comme une machine à café ou un frigo. Je crois que ça m’a marqué. L’idée que d’un côté, ils aient ce qui ressemble à une conscience, mais soient en même temps des objets jetables est à la fois drôle et un peu triste. J’aime dessiner les robots, avec leur aspect qu’on dirait fait de bric et de broc, qui donne l’impression qu’il pourrait tomber en panne, ou ne pas fonctionner correctement.

Votre dessin a quelque chose de très silencieux et de mélancolique, une forme de solitude. Mais il est aussi drôle, voire réconfortant. Est-ce que c’est votre façon de voir le monde?

Cette combinaison de tristesse et d’humour est dans tout mon travail, même si les strips sont plus axés sur l’humour. J’aime cette tristesse mais je ne voulais pas que Police lunaire soit complètement déprimant, je voulais qu’il y ait un peu de chaleur. C’est un livre à propos de l’échec, mais pas l’échec complet. Je ne sais pas pourquoi ces choses m’intéressent, peut-être que c’est un peu comme ça que je vois le monde.

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Vos dessins sont légèrement politiques, même si ce n’est pas le centre du thème. Comment avez vous vécu le Brexit?

police_lunaire_image1Politiquement, c’était une année assez déprimante. J’ai voté pour rester dans l’Union, et je pensais que la plupart des gens le feraient. C’était un choc qu’ils votent pour le “leave”. Je suis Écossais, et lors du référendum sur l’indépendance de l’Écosse, j’espérais qu’elle reste dans le Royaume-Uni. Je me souviens m’être réveillé, ce matin-là, et d’être si soulagé que l’on reste dans le Royaume-Uni. Pour le Brexit, j’ai eu le même moment de réveil anxieux, et j’étais vraiment stupéfié que les gens aient voté pour quelque chose qui me paraît si stupide. Après, je suis conscient de vivre une vie plutôt plaisante et facile à Londres, entouré de culture, de plein de nationalités, c’est très différent de ce que peuvent vivre les gens dans d’autres endroits de Grande-Bretagne. Mes amis et moi, nous sommes évidemment pour l’Europe, mais je peux comprendre pourquoi les gens étaient énervés. Dans les cartoons, il arrive que le Guardian me demande de travailler sur des sujets plus politiques. C’est compliqué, parce que je n’ai pas de solutions ou de réponses. Quand je commence à penser trop au Brexit, je finis en général confus et triste… Ce qui ne marche pas très bien pour dessiner des BD! Mais c’est un challenge. Et au final, ces cartoons légèrement politiques sont souvent ceux que j’ai préféré faire. Ils reflètent une partie très simple de ma vision du monde, une en laquelle je crois vraiment, à savoir, être ouvert d’esprit et essayer de comprendre le point de vue des autres, plutôt que d’être spécifique en parlant de partis ou de nationalités.

Propos recueillis et traduits par Sophie Gindensperger

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Police lunaire.
Par Tom Gauld.
Éditions 2024, 17 €, octobre 2016.

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