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Les + du blog LE ROMAN DE PIERRE CHRISTIN 3/5

7 juillet 2006 |

Pierre Christin, c’est aussi Mourir au paradis, one shot dessiné par Alain Mounier, paru en 2005 (Dargaud).
« VOS VILAINES CAISSES BRULERONS SUR LE CAMPUS… »

La bagnole, c’est la plaie de notre société, dit un étudiant grassouillet faisant partie de l’un des syndicats évanescents. L’université n’a pas à encourager son usage.
Celui-là, un esprit faible, devait être plutôt Vert, mais le garçon à casquette l’adouba.
– Bien, dit-il.
C’était torché. Point suivant. Les Tziganes.
– Les gens du voyage, dit Mme Marthon-Le Boudic.
Il y eut une passe d’armes sur le racisme ordinaire des voisins pavillonnaires du campus et Simon replongea dans une autre copie. Étienne ne levait pas le nez de son tas à lui. Mais la voix du président résonna, assez puissante pour le faire sortir de sa tâche.
– Monsieur Moulineaux ? C’est vous qui vous intéressez à ce genre de choses, disait-il.
– Oui ? dit Étienne.
– Le mur d’expression libre, qu’en pensez-vous ?
Toujours réactif, Étienne se lança, mais c’était sans aucun doute un peu au radar.
– Excellente initiative.
– Sur la façade de l’amphithéâtre, vraiment ?
– Non, bien sûr que non. Mauvais emplacement pour que des graphs puissent avoir un certain retentissement.
– Des graphs ? demanda Mme Marthon-Le Boudic, interloquée.
– C’est un peu comme de la phonétique, chère madame, disait Étienne, aimable. Une sorte d’écriture personnalisée.
– Ah, dit-elle.
– Et pourquoi pas l’amphi ? lança le jeune héros prolétarien. Ça amènerait du monde.
– Pour toucher un vrai public, je suggérerai plutôt le mur d’enceinte, près de l’arrêt des bus à soufflets. Là, comme il y a beaucoup d’attente, il y a vraiment du monde.
– Il est à nous, ce mur ? s’interrogeait à haute voix le président Goulletqueur.
Un professeur d’urbanisme d’ordinaire très discret dit :
– C’est nous qui faisons vivre ce quartier excentré de la ville. Et la ville appartient à ceux qui la font vivre.
– Bien, dit le leader révolutionnaire.
La petite cour autour de lui opina derechef du bonnet. Goulletqueur aussi, soulagé pour des raisons que lui seul – et peut-être son vieil ennemi Étienne – connaissait.
– Parfait, voilà une excellente suggestion. Pour la forme, j’en parlerai à la municipalité. Mais je serais étonné que, fidèle à sa ligne de conduite progressiste, elle ne soit pas favorable à la créativité citoyenne. Repoussons néanmoins le vote à la prochaine réunion du CEVU, si vous le voulez bien ?
On voulait bien. Et il ne restait plus que les deux derniers points à aborder. D’un commun accord, comme il s’agissait d’histoires d’informatique, on décida de joindre les dysfonctionnements des ordinateurs et les blogs envahissants. Tout avançait gentiment. Simon et Étienne avaient replongé dans leurs copies.
C’est le moment où un professeur de géographie physique que l’on n’avait pas entendu jusque-là demanda :
– Je peux vous montrer un e-mail dont moi-même et mes collègues avons pris connaissance ce matin ?
– S’agit-il d’un bug ? demanda Mme Marthon-le Boudic, pour qui on ne plaisantait pas avec l’ordre du jour.
– On dit blog, chère collègue, dit un maître de conférence qui faisait de l’analyse quantitative de vocabulaire et s’y connaissait en trucs modernes.
– Montrez, montrez, cher collègue, dit Goulletqueur, paternel, car les géographes, considérés comme peu futés, n’étaient pas des mecs dangereux a priori.
On regarda le papier qui passa de main en main et il y eut un froid lorsqu’on s’aperçut que les étudiants présents pouvaient eux aussi en prendre connaissance.
Mais il était trop tard et chacun lut :

De : verite-faculte@univ.lettres-scienceshumaines.fr
A : ufrgeograph@univ.lettres-scienceshumaines.fr
Envoyé : lundi 24 juin 14 :16
Objet : Jedem das Seine
Profs, vous avez matraqué les étudiants de la maîtrise II.
Si vous ne remonté pas toutes les notes, vos vilaines caisses brûlerons sur le campus dès demain. A bon entendeur salud.
Ceux du Bouchot, au non de toutes les autres victimes.
A chacun son dur.

Le président de l’université, du CEVU et de divers autres machins s’adressa aux représentants des syndicats étudiants d’un air sévère.
– Vous étiez au courant ?
Le Vert grassouillet qui avait pris la parole plus tôt bafouilla :
– Nnnon, monsieur, nnnon! Les gars du Bouchot, c’est des gars à part.
– Mais nous soutenons leurs luttes, dit le jeune homme aux yeux de braise, toutes leurs luttes.

SUITE : « Bordel de merde, nos bagnoles! »

Extraits de Petits Crimes contres les humanités de Pierre Christin, collection Noir, éditions Métailié (www.editions-metailie.com), 240 pages, 10 euros.
© Métailié 2006

Et voir les autres dossiers : 1/5, 2/5, 4/5, 5/5

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