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Max de Radiguès n’en a pas fini avec l’adolescence

17 juin 2013 |

radigues_orignal_introAvec son trait tout en finesse qu’on aurait tort de croire frêle, Max de Radiguès (Frangins, 520 km, Pendant ce temps à White River Junction…) construit peu à peu une oeuvre personnelle sensible. Éditeur chez L’Employé du moi et investi dans le monde effervescent des fanzines, il vient de publier Orignal dans la collection Shampooing (Delcourt), tiré de son fanzine Moose. L’histoire de Joe, martyrisé à l’école par Jason, et qui n’ose en parler autour de lui (attention, cette interview révèle en partie la fin de l’album). Rencontre avec un jeune Belge de 31 ans, pas encore à l’aise avec son dessin, mais qui vient sans aucun doute de franchir un cap créatif avec Orignal.

Comment est né Moose, le fanzine à l’origine d’Orignal?
ORIGNAL_interieur.inddAprès avoir passé un an dans le Vermont, aux États-Unis, j’étais en résidence pour trois mois à Montréal quand arriva le festival de Toronto. Je voulais y aller, mais je ne pouvais pas m’y rendre les mains vides. J’ai donc créé très vite un petit fanzine en anglais, un petit format photocopié en noir et blanc, qui mettait en scène un garçon qui courait dans les bois, visiblement effrayé, et qui finissait par vomir… Sans plus d’explication. Puis il y a eu un deuxième Moose, avec une séquence qui n’avait rien à voir avec la précédente. Petit à petit, tout s’est clarifié dans ma tête et un récit a commencé à s’articuler.

Comment ce fanzine est-il devenu un livre chez Delcourt? Vous êtes éditeur chez L’Employé du moi, pourquoi ne pas l’avoir fait là-bas?
Depuis quatre ans que je fais de la bande dessinée à temps plein, j’avais envie de faire un bouquin qui puisse se vendre un peu. Pour cela, il fallait dépasser le cadre de mon lectorat de fanzine, qui est à peu près le même que celui de L’Employé du moi. Je ne voulais pas non plus le publier chez Sarbacane, pour éviter la confusion avec les deux albums jeunesse qui sont parus chez eux. J’ai tout de suite pensé à la collection Shampooing, car il n’y a pas tant de gros éditeurs qui ont une collection de petit format en noir et blanc. Jimmy Beaulieu m’a présenté à Lewis Trondheim, le directeur de la collection: il a été séduit et tout s’est fait très vite. J’ai dû ajouter une quarantaine de pages pour faire le lien entre différentes séquences, mais le gros du boulot avait été réalisé au moment du fanzine.

ORIGNAL_interieur.inddAvez-vous davantage de pression maintenant que vous avez signé chez un gros éditeur?
Non, pas vraiment. Surtout que comme j’ai signé avec un bouquin déjà presque bouclé, la pression était derrière moi. De plus, Moose était comme une récréation pour moi dans le reste de mes activités, une façon de me faire plaisir avec le dessin – croquer des animaux, essayer de mettre davantage de noir dans mes cases… J’adore dessiner, mais je ne suis toujours pas à l’aise avec ça, c’est difficile pour moi. J’ai suivi le cursus BD à Saint-Luc en Belgique, mais j’étais sans doute le seul de ma promo à n’avoir jamais pris de cours auparavant (à part une année préparatoire au concours), à n’avoir jamais fait de planches, à ne pas connaître le matériel..!

L’Âge dur, Frangins, 520 km... Vous écrivez beaucoup sur l’adolescence. 
ORIGNAL_interieur.inddChaque fois que je démarre un livre sur le sujet, je me dis que ce sera le dernier. Mais j’ai toujours de choses à raconter ! J’avais fait L’Âge dur un peu en réaction à La Vie secrète des jeunes de Riad Sattouf, parce que je trouvais horrible de présenter les ados comme ça. Pour moi, l’adolescence est une période foisonnante, où il se passe plein de choses nouvelles; et je me suis bien marré quand j’avais cet âge! De plus, quand je bossais au rayon BD d’une librairie généraliste à Bruxelles, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas vraiment d’albums pour les tout jeunes ados, tranche d’âge où on est plus un enfant mais pas encore un adolescent. C’est pour ce public que j’ai fait Frangins et 520 km.

Quelles fictions adolescentes vous inspirent-elles?
J’adore les films de John Hughes (réalisateur de Seize bougies pour Sam, Breakfast Club, La Folle Journée de Ferris Bueller, mais aussi scénariste de Maman j’ai raté l’avion) ou Les Goonies de Richard Donner, par exemple. En BD, je lis surtout des bandes dessinées indépendantes américaines, comme celles de John Porcellino. En France, j’avais vraiment apprécié Skateboard et vahinés de Morgan Navarro, et Orage et désespoir de Lucie Durbiano, chez Bayou.

ORIGNAL_interieur.inddAvec Orignal, vous vous adressez à un public un plus mûr.
Oui, car j’avais envie d’un récit tout en tension et surtout de mettre en scène un vrai méchant, pour une fois. Quelqu’un à qui, quand il arriverait malheur (je ne voulais pas de happy end, c’était certain), le lecteur dirait: « Bien fait! »

Mais Joe, le gamin harcelé par la brute Jason, se transforme en bourreau à la fin.
Pour moi, Joe est quelqu’un de passif. Il ne prend jamais vraiment de décision, il ne fait que subir, tout le temps, partout. Ce n’est même pas lui qui pousse Jason dans le trou.

Oui, c’est l’orignal. Mais on pourrait penser que cet animal est issu de l’imagination de Joe.
Bien sûr, c’est une interprétation possible, l’orignal peut se voir comme une sorte d’animal totem. Mais je lui donne une certaine réalité en le faisant apparaître plusieurs fois au cours du récit. On peut aussi imaginer que c’est Joe et non Jason qui tombe dans le trou; je mélange d’ailleurs les têtes à la fin, pour susciter une confusion. De toute façon, je voulais une fin ouverte, inquiétante. J’avais même prévu de finir juste après la chute dans le trou, mais Lewis trouvait cela trop abrupt.

Vous abordez la question de l’homosexualité et des couples avec enfant, notamment en mettant en scène les deux mamans de Joe. Quel regard portez-vous sur les violents débats autour du mariage pour tous en France?
radigues_orignal_mamansJ’ai intégré cet élément, car je voulais qu’il y ait une « raison » à la méchanceté de Jason vis-à-vis de Joe, quelque chose dont Joe ne serait pas lui-même responsable. J’ai hésité à le laisser dans le livre, au vu de la tournure prise par les événements en France, car je ne voulais pas choquer… Mais des couples de même sexe avec des enfants, cela paraît tellement naturel en Belgique, et ce, depuis si longtemps ! L’opposition en France m’a paru totalement délirante.

Comment se porte, en ces temps de crise, L’Employé du moi?
C’est peut-être parce qu’il a su rester petit que L’Employé du moi ne souffre pas trop. Nous avons des clients fidèles, nous faisons de très petits tirages (entre 800 et 1500 exemplaires). Et désormais, nous imprimons en Europe de l’Est, ce qui nous permet de verser une avance aux auteurs et surtout de continuer à publier des livres.

Quels sont vos projets?
J’essaie toujours d’avancer sur plusieurs choses en même temps, sinon je deviens fou. Je vais sans doute commencer un nouveau fanzine, c’est une façon de travailler dont je ne peux me passer: un petit A6 photocopié, ça ne me coûte rien à faire et ça me permet de faire un état des lieux de l’avancée de mon boulot. Mais aussi d’avoir des retours de gens intéressés par ce que je fais; je les envoie par la Poste, il y a aussi ce côté intime que j’affectionne. Par ailleurs, je travaille, en tant que scénariste, sur un projet avec Frantz Duchazeau (au dessin) autour du photographe américain Weegee. Et Sarbacane m’a demandé une suite à 520 km : je vais sans doute faire une fausse suite, raconter le même été, mais par les yeux de la fille qui largue par SMS le héros du premier livre.

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Orignal.
Par Max de Radiguès.
Delcourt/Shampooing, 13,95 €, le 22 mai 2013.

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